L'Actualité juridique - Mars 2022

Sommaire

  • l'édito
  • Les commentaires
  • Ont participé à ce numéro

L'édito

LA GRANDE SÉCU, C’EST QUOI ?

La « grande Sécu » a surgi dans le débat public cet hiver.

Saisi par le Ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, de l’amélioration de l’articulation entre l’assurance maladie obligatoire (AMO), en d’autres termes la couverture santé de la sécurité sociale, et les complémentaires santé, le Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie a imaginé plusieurs scenarii. À côté du premier qui rendrait la complémentaire santé obligatoire pour tous dans un cadre mutualisé et du deuxième qui dissocierait les frais de santé pris en charge par l’AMO et ceux relevant des complémentaires santé, le troisième étendrait le champ d’intervention de l’AMO à la part actuellement prise à charge par les complémentaires santé, dans la limite de la base de remboursement de la Sécurité sociale (BRSS). D’où l’appellation « grande Sécu », cette dernière ayant précisément pour effet de supprimer le ticket modérateur ou reste à charge. Cette troisième proposition a particulièrement suscité l’attention et le débat car, au-delà de la formule frappante, d’une redoutable efficacité politique, elle exprime une idée renouvelée du modèle social de prise en charge des soins qui, peut-être, se concrétisera dans un avenir proche.

Une formule, presqu’un slogan. L’appréciation, qui peut paraître sévère, s’explique par la crainte que l’image très positive véhiculée par la grande Sécu ne soit en réalité qu’un leurre. Peut-on en effet raisonnablement penser que, dans notre système de santé libéral qui admet les dépassements d’honoraires et l’exclusion de certaines prestations de santé du périmètre de la BRSS, une éventuelle grande Sécu parviendrait à garantir à chacun une absence totale de reste à charge dans son parcours de santé ? L’hypothèse n’est pas sérieuse. La liberté reconnue aux professionnels de santé conjuguée à la limitation inévitable des prises en charge aujourd’hui par l’AMO, demain par une éventuelle grande Sécu, aura pour effet que certaines dépenses continueront à peser sur les usagers du système de santé.

Une idée, voire une idéologie. L’idée d’une grande Sécu absorbant l’actuel ticket modérateur est séduisante. Mais peut-on raisonnablement penser que nos gouvernants pourraient envisager un instant de priver le monde de la complémentaire de la couverture du risque santé, laquelle représente une partie substantielle de son activité et de ses profits ? Assurément non. C’est pourquoi la grande Sécu pourrait préfigurer une recomposition de l’organisation des soins, au risque de cristalliser le système de santé à deux vitesses qui a déjà commencé à s’agencer. À la grande Sécu la prise en charge des frais de santé conformes à la BRSS, donc engagés dans le système de santé public ou dans le système privé respectueux des tarifs de la Sécurité sociale, avec des délais d’accès aux soins pouvant être longs, voire des prestations de moindre qualité ; aux complémentaires santé les autres prises en charge, pour les personnes qui auront la capacité financière de s’acquitter des cotisations demandées et qui pourront alors s’extraire des contraintes de la grande Sécu. La grande Sécu serait alors bien l’expression d’une conception libérale de la couverture santé, laquelle ménage une place évidente et substantielle au secteur de la complémentaire, et donne à voir une conception appauvrie de la solidarité. Elle libérerait en outre les employeurs, privés et publics, de leur obligation de contribuer au financement de la complémentaire santé de leurs salariés ou agents, cette couverture devenant largement sans objet.

Déjà du passé ou notre avenir proche ? La grande Sécu a curieusement disparu des radars. Peut-on raisonnablement penser que c’est définitif ? Une telle conclusion serait naïve et hâtive. Dans un contexte où l’accès aux soins demeure un problème pour une partie de la population et où le déficit de la banche maladie s’est considérablement creusé, la réorganisation des rapports entre l’AMO et la complémentaire santé reste plus que jamais d’actualité.

Maryse Badel

Les commentaires

Ont participé à ce numéro

Maryse Badel

Alexandre Charbonneau

Laurent Willocx

Mise à jour le 11/05/2022