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L'Actualité juridique - Janvier 2025

Edito

Nouvelle année !

Les fêtes de fin d’année sont désormais digérées, une nouvelle année commence. Mais que nous réserve-t-elle ? Ma boule de cristal n’étant guère bavarde, j’ai interrogé Nostradamus…

Les prédictions du célèbre apothicaire, médecin et astrologue français ont été publiées pour la première fois en 1555 sous forme de poèmes en quatrains énigmatiques dans un recueil intitulé « Les prophéties ». Depuis, selon ses adeptes, certaines d'entre elles se seraient réalisées comme la mort d’Henri II, la prise de pouvoir de Napoléon Bonaparte, l’ascension d’Adolf Hitler ou encore l’élection de Donald Trump !

Comme le souligne un historien, « Nostradamus est le visionnaire d’un futur d’angoisses qui ne doit connaître nul répit »[1]. Les prophéties de Nostradamus sont rarement réjouissantes et malheureusement, l’année 2025 ne fait pas exception. Il a ainsi notamment prédit le début de la troisième guerre mondiale. Le climat sera également source de préoccupation puisque Nostradamus évoque des catastrophes naturelles importantes causées par le réchauffement de la planète. Enfin, du point de vue économique, des pénuries sont à prévoir dans les secteurs sanitaire et alimentaire.

Il convient de garder à l’esprit que Nostradamus s'est déjà trompé (la fin du monde était prévue pour 1999) et surtout que l’interprétation de ses prédictions est sujette à caution[2]. Force est toutefois de constater que l’année 2025 n’a pas commencé sous les meilleurs auspices…

Depuis le 13 décembre 2024, la France a un nouveau Premier ministre mais l’Etat n’a toujours pas de budget. Une très hypothétique « suspension » de la réforme des retraites de 2023 pourrait être annoncée afin d’éviter une censure du gouvernement de François Bayrou sans que les conséquences d’une telle décision semblent bien connues. Il est, en revanche, acquis que la dette publique va s’alourdir et que le chômage va augmenter.

Essayons de ne pas commencer cette année uniquement en broyant du noir. Depuis le 1er janvier, un plus grand nombre d’entreprises doivent effectuer un partage de la valeur, c’est-à-dire associer les salariés à leurs résultats et performances. Egalement à partir du 1er janvier 2025, en application de la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), les entreprises (européennes ou non) employant plus de 500 salariés et générant un chiffre d’affaire de plus de 40 millions d’euros ou ayant un total de bilan de plus de 20 millions d’euros, sont tenues de publier un rapport extra-financier sur l’exercice 2024 en veillant à observer les normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards) établies autour de trois piliers – l’environnement, le social et la gouvernance – dans le but de rendre publiques les conséquences de leurs activités. Véritables avancées ou marché de dupes ? Nous verrons bien…

C’est donc sous le signe de l’espoir que toute l’équipe de l’Institut du travail de Bordeaux vous souhaite une belle et heureuse année 2025

Laurène Joly


[1] https://francearchives.gouv.fr/pages_histoire/39680

[2] https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-cours-de-l-histoire/que-nous-reserve-l-avenir-nostradamus-repond-5281062

Les commentaires

La mise à pied disciplinaire d’un salarié protégé ne nécessite pas son accord. Note sous Cass. soc. 11 décembre 2024 n°23-13.332

La mise à pied disciplinaire d’un salarié protégé ne nécessite pas son accord : telle est la solution retenue par la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 11 décembre 2024.

En l’espèce, un salarié investi de plusieurs mandats (mandat de délégué du personnel et délégué syndical au sein d’une unité économique et sociale) avait d’abord été embauché en qualité d’équipier polyvalent par une EURL qui a été incluse dans une unité économique et sociale regroupant différents restaurants de l’enseigne McDonald’s dépendant d’une société holding. Il a ensuite occupé les fonctions de manager opérationnel.

Ce salarié s’est vu signifier une mise à pied disciplinaire de cinq jours.

Il a alors saisi la juridiction prud’homale pour demander l’annulation de la sanction et faire condamner l’employeur au versement de diverses sommes. La Cour d’appel d’Aix en Provence a, dans une décision rendue le 2 décembre 2022, annulé la sanction aux motifs que cette dernière avait pour conséquence de modifier la rémunération et la durée du travail le temps de son application, ce qui nécessitait que l’employeur informe le salarié de son droit d’accepter ou de refuser la sanction. Elle a condamné en conséquence la société à payer différentes sommes notamment au titre de rappels de salaires et de congés payés.

L’employeur s’est alors pourvu en cassation reprochant aux juges du fond une violation des articles L. 1331-1, L.1332-2 et L. 2411-1 du code du travail dans la mesure où une mise à pied disciplinaire a pour effet une suspension provisoire du contrat de travail et n’entraine pas de modification du contrat ni des conditions de travail.

Au visa de l’article L. 2411-1, 2° du code du travail et après avoir rappelé dans un chapeau que la mise à pied disciplinaire du salarié protégé laquelle n’a pas pour effet de suspendre l’exécution du mandat de représentant du personnel, n’emporte ni modification de son contrat de travail ni changement de ses conditions de travail et n’est pas subordonnée à l’accord du salarié, la chambre sociale de la Cour de cassation reproche aux juges du fond une violation du texte visé. Elle casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix en Provence et renvoie devant la cour d’appel de Nîmes.

En prenant cette décision, la chambre sociale de la Cour de cassation met ainsi fin à des divergences entre les juges du fond en posant le principe que la mise en œuvre d’une mise à pied disciplinaire ne nécessite pas l’accord du salarié.

Depuis l’arrêt Le Berre du 10 juillet 1996, la chambre sociale de la Cour de cassation distingue la modification du contrat de travail du simple changement des conditions de travail, délimitant ainsi la frontière entre ce qui relève de la sphère contractuelle et ce qui résulte au contraire du pouvoir de direction de l’employeur.

Or, cette distinction ne présente pas le même enjeu s’agissant des salariés investis de mandats de représentation au titre du statut protecteur exorbitant du droit commun qui leur est reconnu.

En effet, aucune modification qu’il s’agisse du contrat de travail comme des conditions de travail ne peut leur être imposée (Cass. soc., 25 novembre 1997, RJS 01/98 n°67 ; Cass. soc., 10 mai 1999, Bull. civ., V n°208 ; Cass. soc., 30 mai 2001, Dr. soc., 2001. 901 ; Cass. soc., 15 février 2006, JCP S 2006. 1265 ; Cass. soc., 13 septembre 2017, n°15-24.397). La chambre sociale continue d’ailleurs à rappeler régulièrement ce principe comme par exemple dans un arrêt rendu le 4 octobre 2023 (n°22-12.922).

La mise à pied disciplinaire est une cause de suspension du contrat : en raison de la ou des fautes commises, l’employeur prononce cette sanction qui interdit au salarié de venir travailler pendant un certain nombre de jours qui seront donc décomptés de son salaire.

A fortiori, elle entraîne la diminution de la durée travaillée et de la rémunération par voie de conséquence. Or, la durée du travail comme la rémunération sont considérées par la chambre sociale de la Cour de cassation comme des « piliers contractuels » : leur modification ne peut donc pas être imposée au salarié. La chambre sociale de la Cour de cassation considère en effet que la baisse de la durée du travail dans la mesure où elle conduit à une diminution du salaire est nécessairement une modification du contrat de travail (Cass. soc., 23 janvier 2001, Bull. civ., V, n°19).

Lorsque le salarié accepte la modification ou lorsque son silence vaut acceptation (en cas de modification pour motif économique), celle-ci est alors mise en œuvre par l’employeur. A l’inverse, s’il refuse, alors, soit l’employeur renonce à la modification, soit il peut engager une procédure de licenciement fondée sur le motif l’ayant conduit à envisager ce changement.

Il s’agissait donc de savoir si la mise en œuvre d’une mise à pied disciplinaire laquelle implique une diminution de la durée travaillée et de la rémunération nécessitait l’accord du salarié investi d’un mandat de représentation. Or, cette question a divisé les juges du fond, notamment de cours d’appel.

En effet et par exemple, les cours d’appel de Reims (3 juillet 2019, n°18/01030) et d’Aix en Provence (20 novembre 2020, n°17/21897) ont reconnu un droit de refus au salarié au contraire de la cour d’appel de Nancy (3 avril 2019, n°18/00179) en raison de l’absence de modification du contrat de travail du fait du caractère temporaire de la mesure.

Néanmoins, la jurisprudence est aujourd’hui unanime s’agissant de l’absence d’effet suspensif de la mise à pied d’un représentant du personnel (qu’elle soit conservatoire ou disciplinaire) sur l’exécution de son mandat, la chambre criminelle ayant opéré un revirement le 11 septembre 2007, adoptant une position conforme à celle de la chambre sociale.

En l’espèce, c’est le caractère temporaire de la mesure disciplinaire comme son impact ponctuel sur la durée de travail, et par voie de conséquence, sur la rémunération qui permet donc aux juges d’affirmer qu’il ne s’agit ni d’une modification du contrat ni des conditions de travail. Ses effets cessent à la fin de la période de suspension. C’est pourquoi l’exécution d’une mise à pied disciplinaire ne nécessite pas l’accord du salarié.

Monique Ribeyrol

Les effets du solde de tout compte sur la prescription des créances du salarié. Cass. soc., 14 novembre 2024, n° 22-22.540, F-B

Le délai de dénonciation du reçu pour solde de tout compte par le salarié présente, à plusieurs égards, des similitudes avec les délais de prescription applicables aux actions en justice en matière prud’homale. Malgré ces ressemblances, une distinction claire doit être maintenue, ce qui mérite d’être rappelé à la lecture d’un arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 14 novembre 2024.

Dans cette affaire, un salarié avait été licencié pour faute sérieuse. L’employeur avait tenu à sa disposition un solde de tout compte visant principalement les sommes dues en indemnisation du licenciement. Incarcéré après une condamnation pénale, le salarié n’avait pu donner reçu pour solde de tout compte et avait laissé s’écouler le délai de deux ans de prescription alors imposé par l’ancien article L. 1471-1 du code du travail aux actions en contestation de la rupture du contrat de travail. Le salarié saisissait le conseil de prud’hommes après deux ans mais, en cause d’appel, les juges retenaient qu’il demandait simplement que lui soit versée l’indemnité de licenciement figurant sur le solde de tout compte et que, ce dernier n’ayant jamais été signé par le salarié, il était dénué d’effet libératoire, si bien que la prescription de l’action en justice n’avait jamais commencé à courir.

La chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision au visa des articles L. 1234-20 et L. 1471-1 du code du travail et juge que « le solde de tout compte non signé par le salarié, qui n'a pas valeur de preuve du paiement des sommes qui y sont mentionnées, n'a aucun effet sur le délai de prescription qui ne court pas ou n'est suspendu qu'en cas d'impossibilité d'agir à la suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ». Concrètement, la chambre sociale confirme l’étanchéité entre le délai de dénonciation du reçu pour solde de tout compte et le délai de prescription de l’action en contestation du licenciement : l’absence de signature du solde de tout compte ne suspend ni n’interrompt la prescription de l’action en justice du salarié.

Il peut être utile de rappeler que l’article L. 1234-20 du code du travail dispose que « le solde de tout compte, établi par l'employeur et dont le salarié lui donne reçu, fait l'inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail » et que le reçu « peut être dénoncé dans les six mois qui suivent sa signature, délai au-delà duquel il devient libératoire pour l'employeur pour les sommes qui y sont mentionnées ». Lorsque le solde de tout compte n’est pas signé, comme cela était le cas en l’espèce, le délai de dénonciation de six mois ne commence jamais à courir et l’employeur ne bénéficie d’aucun effet libératoire. Le salarié peut librement agir pour contester le montant des créances mentionnées dans le solde de tout compte. Cela ne le dispense toutefois pas de l’obligation de se soumettre aux délais de prescription établis par le code du travail. Ces délais de prescription peuvent être suspendus pour les causes énoncées à l’article 2234 du code civil qui prévoit que « la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ». L’incarcération du salarié n’est pas un cas de force majeure, ne constitue pas une impossibilité d’agir en justice et ne permettait donc pas la suspension du délai (comp. Cass. soc., 1er juill. 1998, n° 96-41.403, inédit : l’incarcération du salarié ne constitue pas un cas de force majeure justifiant en lui-même une rupture du contrat de travail). L’absence de signature du solde de tout compte ne peut pas davantage être rattachée à l’une des causes de suspension ou d’interruption prévues par le code civil, il ne s’agit pas d’un événement ayant empêché le salarié d’agir en justice.

De prime abord, la décision paraît donc tout à fait claire : les deux délais sont distincts, l’écoulement du délai de dénonciation ne peut avoir d’influence sur le délai de prescription. On peut malgré tout se demander si la formule employée par la chambre sociale de la Cour de cassation peut être interprétée a contrario. Autrement dit, peut-on considérer que le solde de tout compte signé par le salarié produit des effets sur les délais de prescription applicables aux créances visées par le document ? Très concrètement, le délai de prescription de deux ans (un an depuis l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017) est-il ramené à six mois par le fait que le salarié ait signé le solde de tout compte ?

Indirectement, la signature du solde de tout compte emporte bien des effets sur la prescription. Lorsque le délai de dénonciation est écoulé, la preuve du paiement des créances mentionnées dans le document est apportée. Même s’il s’agit d’une fiction législative, ces créances disparaissent comme si elles avaient été payées, quand bien même cela ne serait pas le cas. Dans cette situation et par voie de conséquence, le salarié n’a plus aucune demande à faire valoir devant le juge. Il faut toutefois préciser que l’article L. 1234-20 du code du travail ne confère un effet libératoire au reçu pour solde de tout compte que pour les « sommes qui y sont mentionnées ». Le salarié ne peut plus soutenir qu’il n’a pas perçu les montants indiqués dans le document, mais il conserve le droit de contester l’adéquation de ces montants avec la valeur réelle de ses créances.

S’il y a donc un effet indirect de la signature du solde de tout compte sur la prescription des actions, peut-on aller plus loin et considérer que le délai de renonciation est assimilable à un délai de prescription, autrement dit que cette signature puisse avoir un effet plus direct sur la prescription ? Le raisonnement s’obscurcit à la lecture de textes, de décisions et de développements qui cultivent l’ambigüité. 

Tout d’abord, l’article L. 1471-1, alinéa 3, du code du travail, prévoit que les délais de prescription d’un an ou de deux ans qu’il vise « ne font pas obstacle (…) aux délais de prescription plus courts prévus par le présent code et notamment ceux prévus aux articles (…) L. 1234-20 ». Le législateur semble donc considérer que le délai de dénonciation du reçu est un délai de prescription. Ensuite, la chambre sociale de la Cour de cassation juge depuis longtemps que la dénonciation du reçu pour solde de tout compte peut résulter de la saisine du conseil de prud’hommes par le salarié. L’introduction de l’action en justice n’aurait donc pas seulement pour effet d’interrompre la prescription prud’homale, mais également de remettre en cause le solde de tout compte. Cette proximité de régime juridique entre les deux délais traduit une similarité de leur nature. Enfin, la doctrine a parfois pu qualifier le délai de dénonciation de « délai de forclusion » (par ex. G. Vachet, Reçu pour solde de tout compte, Rep. Dalloz Travail, n° 5). Or, on sait que les délais de prescription et de forclusion se ressemblent beaucoup, tant et si bien que certains auteurs proposent d’en retenir une conception unitaire (N. Balat, Forclusion et prescription, RTD civ. 2016, p. 751). Cette qualification, autrefois employée par la chambre sociale de la Cour de cassation, a toutefois été abandonnée depuis le début du XXIe siècle (dernière occurrence : Cass. soc., 26 oct. 1999, n° 97-42.488, inédit), les hauts magistrats se contentant désormais de se référer au caractère libératoire du reçu.

Malgré ces ambiguïtés, la distinction entre délai de dénonciation et délai de prescription devrait être fermement maintenue et l’interprétation a contrario de la décision être refusée. Le mot « libératoire » employé à propos du reçu pour solde de tout compte renvoie à un vocabulaire et une logique très différents de ceux qui irriguent le droit de la prescription. Ce mot vise la disparition d’une obligation par paiement et ne concerne pas l’action en justice ou le droit d’agir du salarié. Le délai de dénonciation ressemble bien davantage à un délai de rétractation, comme on en trouve pour la rupture conventionnelle du contrat de travail ou en droit de la consommation : le salarié peut rétracter l’accord donné au solde de tout compte pendant le délai. À l’issue du délai, son engagement devient définitif. C’est d’ailleurs pour cette raison que la chambre sociale de la Cour de cassation juge que, si la saisine du conseil de prud’hommes peut valoir dénonciation du reçu pour solde de tout compte, ce n’est qu’à la condition que la convocation de l’employeur devant le juge prud’homal soit parvenue à ce dernier avant l’expiration du délai (Cass. soc., 7 mars 2018, précité). La date de notification à l’employeur prévaut sur la date de saisine parce que la dénonciation vise le débiteur (l’employeur) bien davantage qu’elle ne s’adresse, en première intention, au juge. L’incidence du délai de dénonciation sur les délais de prescription ne devrait qu’être indirecte.

Il convient, pour terminer, de remarquer que ces considérations et arguments restent largement théoriques. La différence de nature juridique entre les délais et l’imperméabilité de leurs régimes n’emportent que de faibles conséquences pratiques. Si le délai de dénonciation n’est pas un délai de prescription, il ne peut être aménagé par voie contractuelle ou conventionnelle comme le permet l’article 2254 du code civil pour les délais de prescription. De la même manière, il ne devrait pouvoir être interrompu ou suspendu. Enfin, l’employeur qui procèderait au paiement de sommes après l’écoulement du délai de dénonciation pourrait en obtenir répétition, ce qu’il ne pourrait revendiquer si le délai était qualifié de délai de prescription, car son paiement tardif serait considéré comme l’exécution d’une obligation naturelle (C. civ., art. 1302, al. 2). Ces faibles conséquences n’éclipseront donc pas l’effet indirect majeur de la signature du solde de tout compte : le salarié qui aura laissé s’écouler le délai de dénonciation sera privé d’une partie de son droit d’agir en justice parce que sa créance aura purement et simplement disparu.

Sébastien Tournaux

Liberté d’expression du salarié : gare aux SMS émis à partir du téléphone portable mis à la disposition de l’employeur ! Soc. 11 déc. 2024, F-B, n° 23-20.716

La frontière entre la vie privée et la vie professionnelle est devenue plus poreuse avec le développement des nouvelles technologies. Il en résulte qu’il n’est pas toujours évident d’apprécier la licéité des contrôles opérés par l’employeur au regard de la protection de la personne du salarié dans la sphère professionnelle.

L’arrêt du 11 décembre 2024 de la chambre sociale de la Cour de cassation s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence antérieure, considérant que les SMS reçus ou envoyés au moyen d’un téléphone professionnel sont présumés de nature professionnelle et donc, en principe, consultables par l’employeur, sauf s’ils sont identifiés comme « personnels ».

Alors que la haute juridiction estime désormais qu’une conversation privée peut caractériser un manquement à une obligation contractuelle dès lors qu'elle est destinée ou a vocation à être rendue publique et ainsi être sanctionnée, la présente décision apporte une nouvelle pierre à l’édifice. Elle précise qu’il importe peu que les SMS envoyés par un salarié ne soient pas destinés à être rendus publics pour que l’employeur puisse s’en prévaloir au soutien d’une procédure disciplinaire à l’encontre de celui-ci, dans la mesure où ils relevaient de son activité professionnelle.

 

Un salarié, recruté en qualité de « business unit manager » s’est vu confier, en plus de ses fonctions, celles de « conseiller du président ». Il a été licencié pour faute lourde en raison de son refus de collaborer avec la nouvelle direction ainsi que pour avoir tenu des propos critiques visant la société et dénigrants à l’égard de ses dirigeants, contenus dans des SMS envoyés depuis son téléphone portable professionnel. Il avait également incité un salarié en instance de licenciement ainsi qu’un ancien collaborateur à engager une procédure prud’homale contre l’entreprise.

Contestant son licenciement, le salarié saisit la juridiction prud’homale. N’obtenant pas gain de cause devant les juges du fond (à l’exception de la requalification de la faute lourde en faute grave), le salarié se pourvoit en cassation.

 

A l’occasion de ce litige, la Cour de cassation s’est prononcé sur trois questions distinctes : l’employeur pouvait-il prendre connaissance des SMS envoyés par le salarié depuis son téléphone portable professionnel (I), l’employeur pouvait-il s’appuyer sur le contenu des SMS pour fonder un licenciement disciplinaire (II) et enfin le contenu des SMS caractérisait-il un abus de la liberté d’expression du salarié (III) ?

 

I. La licéité du contrôle opéré par l’employeur

Le présent arrêt réaffirme la présomption du caractère professionnels des messages SMS envoyés ou reçus par le salarié au moyen d’un téléphone professionnel. La présomption de professionnalité des SMS avait, en effet, déjà été consacrée par la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 10 février 2015 (Cass. com., 10 février 2015, n°13-14.779, D. 2015. 959, note J. Lasserre Capdeville ; P. Adam, « SMS, vie privée et portable professionnel : histoire (courte) d'un Homme "sans territoire" », RDT 2015. 191).

L’employeur est donc en droit de les consulter en dehors de la présence du salarié ou après l'avoir dûment informé, sauf s’ils sont identifiés comme étant personnels.

Ce principe s’inscrit dans une jurisprudence constante relative à l’utilisation des outils mis à la disposition du salarié par l’employeur pour les besoins de son travail. Dès 2001, dans le célèbre arrêt Nikon, la chambre sociale de la Cour de cassation, affirmant que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée, a interdit à l’employeur de consulter les fichiers personnels présents sur l’ordinateur professionnel du salarié (Cass. soc., 2 oct. 2001, n°99-42.942, Dr. soc. 2001. 920, obs. J-E. Ray). La solution a ensuite été étendue aux courriels adressés ou reçus par le salarié à l’aide de l’outil informatique professionnel qui sont présumés avoir un caractère professionnel, en sorte que l’employeur est en droit de les ouvrir en dehors de la présence de l’intéressé, sauf s’ils sont identifiés comme étant personnels (Cass. soc., 18 octobre 2011, n°10-26.782, JCP S 2012. 1041, note B. Bossu) ou encore aux fichiers, non identifiés comme personnels, contenus sur une clé USB appartenant à un salarié, qui bénéficient également d’une présomption de caractère professionnels dès lors que la clé est connectée à un ordinateur professionnel (Cass. soc., 12 févr. 2013, n°11- 28.649, C. Golhen, « Contrôle par l'employeur d'une clé USB d'un salarié », D. 2024. 1947).

Selon un auteur, « c’est le salarié qui détermine l’étendue de sa sphère d’intimité » (B. Bossu, « Un huissier peut accéder aux fichiers non personnels d’un salarié », JCP S 2008. 1582). Le salarié doit donc identifier ses SMS comme étant personnels s’il ne souhaite pas que l’employeur en prenne connaissance en dehors de sa présence.

Mais qu’est-ce qu’un SMS identifié comme « personnel » ? En l’absence de champ objet semblable à celui des courriels, l’identification peut paraître délicate. La doctrine est toutefois unanime : il appartient au salarié, au début de chaque message, de faire figurer les mots « personnel », « privé » ou encore « confidentiel ». En pratique, des difficultés peuvent survenir, notamment pour les messages envoyés par un tiers non informé de la nature professionnelle du téléphone. Il pourrait être envisagé que le salarié réponde par un SMS comportant le mot « personnel ». Mais comme s’interroge, à raison, une auteure, cela permettra-t-il d'identifier l'ensemble de la conversation comme étant de nature personnelle ? (C. Barrière, JCP S 2015, act. 104). De toute façon, le terme « personnel » confère au salarié une protection toute relative puisque l'employeur peut toujours prendre connaissance du contenu du message en présence du salarié. Si celui-ci souhaite préserver la confidentialité de ses échanges, il doit utiliser son téléphone portable personnel pour envoyer des messages privés.

En l’espèce, les messages envoyés par le salarié ne présentant aucune mention permettant de les identifier comme « personnels », l’employeur pouvait licitement les consulter.

Dès lors que l’employeur avait légitimement pris connaissance de SMS émis par le salarié, pouvait-il se prévaloir de son contenu en justice ?

 

II. Le contrôle des SMS à l’épreuve de l’atteinte à la vie privée du salarié

La consultation licite d’un document ou d’une communication ne signifie pas pour autant que ceux-ci pourront être utilisés par l’employeur pour sanctionner le salarié. La Cour de cassation réaffirme, de façon constante, qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (Cass. soc., 3 mai 2011, n°09-67.464, D. 2012. 901, obs. J. Porta ; JCP S 2011, n°1312, note D. Corrignan-Carsin : dans cet arrêt, la Haute juridiction a considéré que le fait pour un salarié qui utilise un véhicule dans l'exercice de ses fonctions de commettre, dans le cadre de sa vie personnelle, une infraction entraînant la suspension ou le retrait de son permis de conduire ne saurait être regardé comme une méconnaissance par l'intéressé de ses obligations découlant de son contrat de travail, V. aussi Cass. soc., 27 mars 2012, n°10-19.915, D. 2013. 1026, obs. J. Porta ; Dr. soc. 2012. 525, obs. J. Mouly).

Ainsi, l’employeur ne peut s’appuyer sur le contenu d’un SMS licitement consulté pour fonder un licenciement disciplinaire, que si ce contenu ne s’avère pas relever de la vie privée du salarié (Cass. soc., 5 juill. 2011, n°10-17.284, RDT 2011. 708, note M. Kocher ; JCP S 2011, 1501, note B. Bossu). Autrement dit, seuls les messages « en rapport avec l'activité professionnelle » d'un salarié ne revêtent pas un caractère privé et se rattachent à sa vie professionnelle, de sorte qu'ils peuvent être retenus au soutien d'une procédure disciplinaire (Cass. soc., 2 févr. 2011, n°09-72.450, D. 2012. 901, obs. J. Porta ; RDT 2011. 378, obs. R. de Quenaudon ; JCP S 2011. 1274, note A. Martinon).

Or, pour contester son licenciement, le salarié plaidait que les messages consultés par l’employeur, qui n’étaient pas destinés à être rendus publics, étaient couverts par la protection des conversations privées et qu’ils ne pouvaient par conséquent pas être invoqués au soutien d’une procédure disciplinaire. Cette argumentation s’appuyait, à l’évidence, sur une position antérieure de la Cour de cassation où elle avait estimé que relèvent de la vie privée des propos tenus sur un compte Facebook privé, même injurieux envers l’employeur, dès lors que leur diffusion était limitée à un cercle restreint de personnes autorisées (Cass. soc., 12 sept. 2018, n°16-11.690, D. 2019. 963, obs. J. Porta ; RDT 2019. 44, obs. R. Dalmasso ; JCP S 2018. 1328, note G. Loiseau).

Cette jurisprudence relative aux propos tenus dans le cadre d'une conversation privée a cependant été remise en cause par un arrêt rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 22 décembre 2023 (Ass. plén., 22 déc. 2023, n°21-11.330, D. 2024. 291, note G. Lardeux, et 296, note T. Pasquier ; Dr. soc. 2024. 273, étude A.-M. Grivel, et 293, obs. C. Radé). Dans cette affaire, un salarié avait été licencié pour faute grave en raison de propos échangés lors d'une conversation privée avec une collègue au moyen de la messagerie intégrée au compte Facebook personnel du salarié installé sur son ordinateur professionnel. La Cour de cassation affirme qu’« une conversation privée qui n'était pas destinée à être rendue publique ne pouvant constituer un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail, il en résultait que le licenciement, prononcé pour motif disciplinaire, était insusceptible d'être justifié ». Selon un auteur, « les conversations privées sont désormais soumises à la règle d'immunité disciplinaire des agissements de la vie personnelle et, lorsqu'elles sont destinées à être rendues publiques, à son exception contractuelle » (S. Vernac, D. 2024. 1636). Celui-ci souligne néanmoins qu’il « reste à savoir ce qu'est une conversation privée destinée à être rendue publique ».

Quoi qu’il en soit, dans l’affaire sous commentaire, la Haute juridiction affirme que les messages envoyés par le salarié étaient bel et bien « en rapport avec son activité professionnelle » et ne revêtaient donc pas un caractère privé. En effet, ils avaient été échangés « avec des salariés en poste ou des salariés ayant quitté la société concernant les litiges prud’homaux les opposant à celle-ci ». En outre, les propos critiques et dénigrants qu’ils contenaient visaient la société et ses dirigeants. Partant, il importait peu que ces échanges n’aient pas vocation à être rendus publics, la Cour de cassation en déduisant qu’« ils pouvaient être retenus au soutien d’une procédure disciplinaire ».

Il restait cependant à vérifier que les propos tenus par le salarié caractérisaient un abus de sa liberté d’expression.

 

III. Un abus caractérisé de la liberté d’expression du salarié

La liberté d’expression du salarié est protégée, tant par les textes nationaux (C. trav., art. L. 1121-1) que par les dispositions internationales (CEDH, art. 10). Celle-ci est, en outre, clairement consacré par la jurisprudence de la Cour de cassation depuis l’arrêt « Clavaud ». Celle-ci a, en effet, maintes fois rappelé le principe suivant lequel « sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées » (Cass. soc., 28 avr. 1988, n°87-41.804 ; Cass. soc., 27 mars 2013, n°11-19.734).

La détermination de l’abus relève de l’appréciation des juridictions du fond et il est parfois difficile de savoir où placer le curseur entre ce qui est tolérable et ce qui ne l’est pas. Toutefois, la Cour de cassation exige, de façon constante, pour caractériser l’abus que les propos soient injurieux, excessifs ou diffamatoires (Cass. soc., 27 mars 2013, n°11-19.734 ; Cass. soc., 12 févr. 2016, n°14-24.886). Elle tient également compte de la nature de l’assemblée devant laquelle les propos ont été tenus, retenant plus facilement l’abus lorsque les propos ont été prononcés en public. À cet égard, il résulte d’un arrêt de la chambre sociale du 19 mai 2016 (Cass. soc., 19 mai 2026, n°15-12.311) que, pour apprécier la gravité des propos tenus par le salarié, les juges doivent prendre en compte le contexte dans lequel ces propos ont été tenus, la publicité que leur a donnée le salarié ainsi que les destinataires du message.

L’argumentation du salarié reposait donc sur le fait que ses propos ne caractérisaient aucun abus dès lors qu’ils avaient été tenus dans le cadre « strictement limité à des échanges de SMS ». L’argument n’a pas convaincu les hauts magistrats. À la lecture de la présente décision, le critère tiré du caractère injurieux, excessif ou diffamatoire des propos semble bel et bien l’emporter sur celui de leur diffusion publique ou non.

En l’occurrence, les juges du fond ont relevé que le salarié, dans le cadre de ses échanges de SMS, avait désigné un membre de la société sous la dénomination dénigrante « R » et avait détourné l'appellation « EPD » (entretien progrès développement) en répondant à son collègue en ces termes « on peut vraiment dire : le PD » pour désigner le directeur général.

La Cour de cassation en déduit que l’emploi de ces termes injurieux et excessifs caractérisait l’abus dans l'exercice de sa liberté d'expression et que le licenciement disciplinaire de l’intéressé était donc justifié.

 

Cette décision incite donc, de nouveau, les salariés à réserver l’utilisation du téléphone mis à leur disposition par l’employeur pour les besoins de leur travail à un usage strictement professionnel. Alors que la preuve illicite ou déloyale peut désormais être admise en justice, les salariés doivent plus que jamais être vigilants pour que ce qui relève de leur vie privée…reste privé !

 

Laurène Joly

Ont participé à ce numéro

>Laurène Joly

>Monique Rybeyrol

>Sébastien Tournaux

Equipe rédactionnelle