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L'Actualité juridique - Septembre 2025

Edito

On ne badine pas avec l’amour au travail !

Le 16 juillet 2025, lors d’un concert de Coldplay aux Etats-Unis, une Kiss Cam a filmé Andy Byron, le PDG de la société Astronomer enlaçant Kristin Cabot, la DRH de cette même société. Découvrant qu’ils apparaissent sur les écrans géants du stade où le concert avait lieu, les deux amants tentent de se cacher mais le mal est fait. Leur liaison extraconjugale va devenir l’une des plus célèbres au monde. Face au scandale, la société Astronomer a décidé de prendre des mesures et de démettre de leurs fonctions les deux adultères, le temps qu’une enquête interne soit menée. Finalement, Andy Byron a choisi de démissionner, tout comme Kristin Cabot peu de temps après.

Le 1er septembre 2025, le scandale éclate en Suisse. Laurent Freixe, directeur général de Nestlé, est licencié avec effet immédiat en raison d’une relation « non déclarée avec une subordonnée directe » ce qui constitue « une infraction au code de conduite professionnelle » de l’entreprise suisse, leader mondial de l’industrie agroalimentaire.

Quid des relations amoureuses au travail en France ? Eléments de réponse avec un arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 4 juin 2025. Toutefois l’amour n’est pas le seul sujet traité ce mois-ci, il est aussi question de congés payés (pour prolonger un peu les vacances d’été).

Bonne rentrée à toutes et tous !

Laurène Joly

Les commentaires

Nullité du licenciement d’une salariée ayant entretenu une liaison avec son employeur Note sous Cass. soc., 4 juin 2025, n° 24-14.509, F–D

Une salariée engagée en juin 2018, en qualité de responsable du personnel, est convoquée, le 29 mars 2019, à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement. Cette convocation est accompagnée d’une mise à pied à titre conservatoire. Le 10 avril 2019, son licenciement pour faute grave lui est notifié. La lettre de licenciement fait état d’un certain nombre de manquements dans l’exécution de ses missions. Lui sont notamment reprochés l’absence de déclaration préalable à l’embauche, le non-paiement de salaires, l’absence de paiement des cotisations aux régimes de mutuelle et de prévoyance, l’absence de remise de cartes de badgeage aux salariés.

La salariée soutient, quant à elle, que son licenciement porte atteinte au droit au respect de sa vie privée. En effet, la salariée entretenait une relation extraconjugale avec le président de la société qui l’employait. Cette infidélité a été découverte par l’épouse de ce dernier, qui n’est autre que la directrice générale de la même société, dans la nuit du 28 au 29 mars 2019 soit la veille de la convocation à l’entretien préalable de la salariée. En conséquence, celle-ci saisit la juridiction prud’homale de demandes en annulation de son licenciement et en contestation du bien-fondé de la rupture de son contrat de travail, ainsi qu’en paiement de diverses sommes afférentes.

L’argumentation de la salariée fondée sur l’atteinte au droit au respect de sa vie privée n’emporte pas la conviction des juges de première instance. Insatisfaite de la décision rendue par le conseil de prud’hommes refusant d’annuler son licenciement mais le reconnaissant néanmoins privé de cause réelle et sérieuse, elle interjette appel.

De nouveau, la salariée est déboutée. Les juges d’appel écartent la nullité du licenciement pour deux raisons. D’une part, la lettre de licenciement pour faute grave faisait état de divers manquements dans l’exécution du contrat de travail et griefs relatifs au comportement de la salariée sans faire aucune mention d’un grief en relation avec sa vie privée ou constituant une atteinte au respect de celle-ci. Ils souscrivent ainsi à l’argumentation de l’employeur qui faisait valoir le principe selon lequel la lettre de licenciement fixe les limites du litige[1]. D’autre part, si une atteinte à la vie privée de la salariée était établie, elle résultait de la diffusion, dans le cadre de la procédure, par la salariée elle-même des SMS échangés avec son amant. La nullité ne pouvait donc pas être prononcée, seule l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement pouvait être retenue.

La salariée se pourvoit alors en cassation.

En premier lieu, la chambre sociale rappelle qu’il résulte des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, pas justifier un licenciement disciplinaire à moins de constituer un manquement du salarié à une obligation découlant de son contrat de travail[2].

Ensuite, elle affirme qu’il résulte des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et L. 1121-1 du code du travail que le salarié a droit, « même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de la vie privée et que l’employeur ne peut, sans violation de cette liberté fondamentale, fonder un licenciement sur un fait relevant de l’intimité de la vie privée du salarié ».

Apparue récemment dans la jurisprudence de la chambre sociale[3], la notion d’« intimité de la vie privée » est loin d’être parfaitement circonscrite. Dans son avis relatif à un arrêt rendu le 25 septembre 2024[4], l’avocate générale Mme Grivel rappelle qu’il revient au doyen Waquet d’avoir initié « une véritable doctrine jurisprudentielle distinguant vie personnelle, “noyau irréductible d’autonomie” du salarié, et vie privée, “sanctuaire particulièrement protégé”, non seulement hors mais dans l’entreprise, le terme de “vie privée”, qui désigne une véritable liberté publique, devant être réservé à la protection du domicile, de la correspondance et de la vie sentimentale, c’est-à-dire à l’intimité de la vie privée ». Autrement dit, alors que certains éléments de la vie personnelle peuvent être pris en compte par l’employeur s’ils interfèrent avec le cadre professionnel du salarié, la Haute juridiction semble faire bénéficier à l’« intimité de la vie privée » d’une protection absolue. Un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation considère que l’expression englobe, outre ceux cités par l’avocate générale Mme Grivel, la vie familiale, la protection du droit à l’image et des données personnelles[5].

Relevons cependant que la chambre sociale érige, pour la première fois dans cet arrêt de juin 2025, au rang de liberté fondamentale, le droit au respect de l’intimité de la vie privée alors qu’elle faisait référence, dans ses décisions antérieures, au respect de la vie privée. Faut-il y voir là un indice que l’expression « intimité de la vie privée » ne couvre pas l’entier champ de la vie privée et que par conséquent, seule l’intimité de la vie privée est protégée en tant que liberté fondamentale et non pas l’ensemble de la vie privée ? La Haute juridiction devra assurément faire la lumière sur ce que recouvre précisément l« intimité de la vie privée ».

Quoi qu’il en soit, le raisonnement de la cour d’appel est censuré par la Cour de cassation. En effet, pour la chambre sociale, dès lors que les juges du fond, après avoir retenu qu’aucun des motifs énoncés dans la lettre de licenciement n’était fondé, avaient établi que la véritable cause du licenciement était la découverte par l’épouse du président de la société de la liaison qu’entretenait son mari avec la salariée depuis plusieurs mois et l’ultimatum qu’elle lui avait posé de la licencier immédiatement, ils auraient dû en déduire que le licenciement était fondé sur un fait relevant de l’intimité de la vie privée de la salariée. Or, celle-ci étant une liberté fondamentale dont la violation est sanctionnée par la nullité, le licenciement de la salariée est entaché de nullité.

La Cour de cassation décide, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de statuer au fond en prononçant la nullité du licenciement de la salariée et en condamnant l’employeur à payer la somme de 20 000 euros à la salariée.

La qualification d’atteinte à l’intimité de la vie privée est déterminante puisqu’elle emporte des conséquences non négligeables en termes d’indemnisation pour le salarié. Si le licenciement avait seulement été considéré comme privé de cause réelle et sérieuse, le barème Macron prévoyant le versement d’une indemnité plafonnée aurait dû être appliqué par les juges[6]. S’agissant d’une salariée ayant moins d’un an d’ancienneté à la date de la rupture de son contrat, celle-ci n’aurait pu obtenir qu’une indemnité d’un mois de salaire maximum donc bien inférieure à 20 000 euros. En revanche, lorsque l’employeur fonde un licenciement sur des faits relevant de l’intimité de la vie privée du salarié, celui-ci est nul. Or, la reconnaissance de la nullité du licenciement permet au salarié d’écarter l’application du barème Macron. Le salarié a alors droit à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement, au moins égale à six mois de salaire quelles que soient son ancienneté et la taille de l’entreprise[7]. Cette indemnité n’est pas plafonnée et son montant est souverainement apprécié par le juge du fond.

Cet arrêt laisse néanmoins deux interrogations sans réponse. La première interrogation porte sur l’issue du contentieux si un ou plusieurs griefs invoqués dans la lettre de licenciement avaient été fondés. La seconde interrogation porte sur le maintien de la solution de la Cour de cassation adoptée dans une décision antérieure. Dans un arrêt en date du 29 mai 2024, la chambre sociale avait approuvé le licenciement pour faute grave prononcé à l’encontre d’un DRH qui avait dissimulé sa relation intime avec une autre salariée syndicaliste et représentante du personnel. Pour la Haute juridiction, cette dissimulation constituait en effet un manquement à l’obligation de loyauté envers l’employeur, peu important qu’un préjudice pour l’employeur ou pour l’entreprise soit établi, dès lors qu’une situation de conflit d’intérêts était créée.

 

Laurène Joly

 


[1] C. trav., art. L. 1235-2.

[2] V. Cass. soc. 26 sept. 2001, n° 99-43.636 ; Cass. soc. 23juin 2009, n° 07-45.256 ; Cass. soc. 3 mai 2011, n° 09-67.464.

[3] V. Cass. soc., 29 mai 2024, n° 22-16.218, JCP S 2024, 1241, note B. Bosu ; T. Khan dit cohen, « Amour et (dé)loyauté, RDT 2024, p. 526 ; P. Adam, « Le DRH et la syndicaliste : l’amour, la loyauté et le juge », Dr. soc. 2024, p. 750. V aussi Cass. soc., 25 sept. 2024, n° 22-20.672, JCP S 2024, 1353, note B. Bossu et Cass. soc., 25 sept. 2024, n° 23-11.860, JCP S 2024, 1331, note G. Loiseau.

[4] Av. gén. Grivel, avis, Cass. soc., 25 sept. 2024, n° 22-20.672.

[5] F. Pinatel, « L’intimité de la vie privée du salarié : enquête sur une nouvelle liberté fondamentale en droit du travail, RJS 2/2025.

[6] C. trav., art. L. 1235-3.

[7] C. trav., art. L. 1235-3-1.

Arrêt maladie pendant les vacances : le droit au report des congés payés Cass. soc., 10 septembre 2025, n° 23-22.732, F-B+R

Les rédactions de l’ensemble des journaux quotidiens, des matinales radiophoniques et autres journaux télévisés ont mis à l’honneur un arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 10 septembre 2025 relatif au report des congés payés perdus par un salarié qui subit une incapacité de travail pendant ses congés[1]. Honneur ? Il faut le dire vite tant on a pu lire ou entendre des commentaires souvent hostiles, volontiers spécieux, parfois révoltants. Pour résumer, voilà une nouvelle décision des Hauts magistrats qui, après celles rendues le 22 septembre 2023[2], viendrait renforcer le risque de fraude aux arrêts maladie, d’aggravement des comptes sociaux et de complexification à l’extrême de la gestion des congés par les entreprises et leurs services RH. Est-il question de droit dans ces prises de paroles précipitées ? Jamais bien sûr. Alors, de quoi parle-t-on exactement ?

Une salariée avait bénéficié de congés payés indus dont l’employeur réclamait répétition. Les juges du fond condamnaient la salariée au remboursement des indemnités trop perçues, mais déduisaient du décompte des jours de congés les jours d’arrêt maladie prescrits pendant qu’elle était en congés. L’employeur formait un pourvoi en cassation pour contester ce raisonnement et la déduction qui en découlait. La chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi sur ce moyen[3].

L’argumentation des Hauts magistrats est courte et ciselée malgré la complexité juridique du raisonnement, dont témoigne la publication sur le site internet de la Cour de cassation du rapport du conseiller Ph. Florès et de l’avis de l’avocate générale E. Wurtz[4].

La chambre sociale commence par rappeler sa position classique assise sur un argument chronologique. La première cause de suspension du contrat de travail prévalait sur la seconde, par une sorte de principe d’antériorité. Ainsi, un salarié qui tombait malade au cours de ses congés payés ne pouvait bénéficier d’un report pour les congés dont la maladie l’avait privé[5]. Elle poursuit en indiquant que, « toutefois », le droit à congé annuel constitue un principe essentiel du droit social de l’Union européenne et qu’en ce domaine, la finalité du congé est de permettre au travailleur de se reposer et de disposer d’une période de détente et de loisirs, finalité qui « diffère de celle du droit au congé de maladie, qui est accordé au travailleur afin qu’il puisse se rétablir d’une maladie ». Parce que la Cour de justice de l’Union européenne juge que la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 « s’oppose à des dispositions nationales prévoyant qu’un travailleur, en incapacité de travail survenue durant la période de congé annuel payé, n’a pas le droit de bénéficier ultérieurement dudit congé annuel coïncidant avec la période d’incapacité de travail »[6], il convient désormais de juger « qu’il résulte de l’article L. 3141-3 du code du travail, interprété à la lumière de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE (…) que le salarié en situation d’arrêt de travail pour cause de maladie survenue durant la période de congé annuel payé a le droit de bénéficier ultérieurement des jours de congé payé coïncidant avec la période d’arrêt de travail pour maladie ». La salariée « pouvait prétendre au report des jours de congés correspondants, qui ne pouvaient pas être imputés sur son solde de congés payés », à condition que les arrêts de travail aient bien été « notifiés à l’employeur ».

C’est donc en s’appuyant sur le principe d’interprétation conforme par le juge national des directives de l’Union européenne que la chambre sociale de la Cour de cassation fait évoluer sa propre jurisprudence, sans écarter l’application d’un texte du code du travail, cette dernière précision revêtant, nous le verrons, une certaine importance. Les salariés ont désormais droit à des jours de congés « de rattrapage » s’ils sont placés en arrêt maladie pendant leurs vacances (I). Il conviendra de s’interroger sur les conséquences de cette évolution (II).

I. Affirmation de nouveaux droits du salarié malade pendant ses congés

L’arrêt du 10 septembre 2025 présente une différence fondamentale avec les décisions rendues par la chambre sociale de la Cour de cassation en septembre 2023. Il y a deux ans, la Haute juridiction jugeait en effet que devaient être laissées « inappliquées les dispositions de droit interne contraires à l’article 31 §2 de la Charte des droits fondamentaux »[7]. Très concrètement, une partie des règles posées par les articles L. 3141-3 et L. 3141-5 du code du travail étaient déclarées contraires aux traités de l’Union européenne et ne pouvaient plus trouver à s’appliquer. C’est aujourd’hui une technique beaucoup plus classique, dite d’interprétation conforme, qu’emploie la chambre sociale de la Cour de cassation. Au lieu de déclarer l’article L. 3141-3 du code du travail inapplicable, la chambre sociale modifie sa propre interprétation du texte – jusqu’ici un refus de report des congés en cas de maladie – en intégrant à son raisonnement le droit de l’Union européenne et, en particulier, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Plutôt qu’une forme de censure de la loi française, c’est donc un « simple » revirement de jurisprudence auquel procèdent les hauts magistrats.

Sur le fond, c’est la finalité des droits à congés payés qui dicte l’interprétation retenue par la Cour de cassation. Conformément au raisonnement des juges européens, la chambre sociale accepte de différencier le but de l’arrêt maladie de celui des congés payés, bien que ces deux périodes d’inactivité partagent en partie un objectif de protection de la santé. Le droit à congés payés est une composante du droit au repos qui, lui-même, est une déclinaison du droit à la protection de la santé[8]. Pour autant, convalescence et détente ne sont évidemment pas synonymes, comme en témoignent en droit français la rédaction de l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et, en droit de l’Union européenne, l’arrêt Perada rendu par la CJUE le 10 septembre 2009[9]. La suspension du contrat de travail pour cause de maladie a pour objet de permettre au salarié de se rétablir, de se soigner, de restaurer son état de santé. Le congé payé a pour objet de se reposer, de se détendre, de profiter de temps de loisirs. Il est sans aucun doute plus difficile, voire parfois totalement impossible, de s’adonner à des loisirs, de profiter de ses proches ou de voyager quand l’état de santé est altéré par la maladie ou l’accident. Dès lors, et c’est ici que se trouve la clé du raisonnement, soustraire aux droits à congés payés la période d’incapacité de travail constatées par la prescription d’un arrêt de travail conduisait à priver le salarié de la finalité et du bénéfice desdits congés.

C’est donc l’interprétation de l’article L. 3141-3 du code du travail qui évolue. Pour mémoire, ce texte dispose que le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur et que la durée totale du congé exigible ne peut excéder trente jours ouvrables. Au lecteur non averti, le lien entre ce texte et le bénéfice d’un report des droits à congés en cas d’arrêt maladie pendant les vacances peut sembler bien lâche. Un raisonnement fondé sur l’article L. 3141-19-1 du code du travail, issu de la loi du 22 avril 2024, aurait pu sembler plus approprié puisque ce texte dispose que « lorsqu’un salarié est dans l’impossibilité, pour cause de maladie ou d’accident, de prendre au cours de la période de prise de congés tout ou partie des congés qu’il a acquis, il bénéficie d’une période de report de quinze mois afin de pouvoir les utiliser ». Ces dispositions ont certes été ajoutées au code du travail pour y intégrer la jurisprudence européenne à la suite des arrêts de septembre 2023. Elles visaient donc davantage la situation dans laquelle un salarié est malade avant de partir en congé et non, comme en l’espèce, du salarié qui, une fois en congé, tombe malade et se voit prescrire un arrêt de travail. Pour autant, la formule de l’article L. 3141-19-1 pouvait paraître suffisamment large et compréhensive pour permettre une interprétation à la lumière de la directive 2003/88/CE et étendre son domaine à l’hypothèse de l’arrêt de travail consécutif au départ en congé.

L’avis de l’avocate générale évoque cette question[10] en considérant que les dispositions issues de la loi du 22 avril 2024 contredisent, « en droit positif », l’ancienne jurisprudence de la Cour de cassation fondée sur le critère d’antériorité, mais qu’elles n’étaient pas applicables au litige[11]. Dit autrement, les faits de l’espèce s’étant produits à une époque à laquelle l’article L. 3141-19-1 du code du travail n’existait pas, l’interprétation conforme ne pouvait s’appuyer sur ce texte et imposait de se rabattre sur l’article L. 3141-3 malgré sa grande généralité[12]. Implicitement, le propos de Madame Wurtz peut ainsi laisser penser qu’à l’avenir, l’interprétation conforme au droit européen sera appliquée à l’article L. 3141-19-1 plutôt qu’à l’article L. 3141-3 du code du travail. Il ne s’agit toutefois là que d’une supposition fragile, cela pour deux raisons. D’abord parce que, ni le rapport du conseiller Florès, ni la décision elle-même n’évoquent la loi nouvelle et ne donnent d’indices sur leur application future[13].

L’éventuel choix futur de fonder l’interprétation sur les dispositions de l’article L. 3141-19-1 du code du travail aurait des conséquences très concrètes, en particulier par le fait que des limitations de la durée totale du congé annuel à quatre semaines, en cas d’arrêt de travail pour maladie ordinaire, sont appliquées à ce report.

II. Conséquences des nouveaux droits du salarié malade pendant ses congés

Sur le strict plan du droit français, la décision de la chambre sociale de la Cour de cassation pose au droit au report une limite ferme mais peu contraignante pour le salarié : le salarié ne peut bénéficier d’un report des congés perdus du fait de la maladie qu’à la condition que le ou les arrêts de travail aient été « notifiés à l'employeur ». Cette obligation d’information et la formalité qui l’accompagne ne sont pas l’apanage des arrêts de travail survenus au cours d’un congé. On sait en effet que le législateur et le juge exigent déjà du salarié, pour tout arrêt de travail, qu’il informe l’employeur de la prescription médicale. Dans le code du travail, cette obligation n’est qu’indirecte. L’article L. 1226-1 du code du travail, reprenant les stipulations de l’ANI sur la mensualisation de 1978, dispose en effet qu’en cas d’arrêt de travail pour maladie, le salarié bénéficie « d’une indemnité complémentaire » à la charge de l’employeur qui complète les indemnités journalières servies par la Sécurité sociale. Cette indemnité complémentaire n’est toutefois due qu’à la condition « d’avoir justifié dans les quarante-huit heures de cette incapacité », justification évidemment apportée au débiteur de l’indemnité, donc à l’employeur. La jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation est plus souple sur les conditions de l’information mais plus sévère sur les conséquences du défaut d’information. Elle juge que le salarié est tenu d’informer l’employeur qui ne peut toutefois réagir au silence du salarié avec précipitation, ce dont on peut conclure que le salarié dispose d’un délai raisonnable pour porter l’information à la connaissance de l’employeur[14]. En revanche, le défaut d’information peut donner lieu à une sanction plus vigoureuse que la seule privation d’une indemnité complémentaire, puisqu’il peut justifier un licenciement pour faute grave voire, depuis la loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022, permettre de présumer le salarié être démissionnaire[15]. Ces règles sont classiques, bien connues et généralement respectées par les salariés, si bien que l’exigence posée par la chambre sociale ne devrait qu’exceptionnellement entraver le droit des salariés au report.

La décision devrait également emporter des conséquences juridiques au plan européen. Le 18 juin 2025, la Commission européenne publiait en effet sur son site internet un communiqué annonçant l’ouverture d’une procédure pour infraction contre la France en lui adressant une mise en demeure de se mettre en conformité avec la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 à propos du sort des congés du salarié malade pendant ses vacances[16]. La décision de la Cour de cassation rétablit clairement la conformité du droit français au droit de l’Union européenne, ce qui devrait impliquer la clôture de la procédure[17] et la disparition du risque de condamnation de l’État français à une astreinte ou une amende pécuniaire[18] qui, on en conviendra, aurait été aussi néfaste sur le plan politico-diplomatique qu’au regard des difficultés budgétaires actuelles du pays.

Sur un plan plus politique cette fois, on peut se demander si cette décision ne va pas aboutir à une nouvelle intervention législative sur le thème des congés payés[19]. Cela dépendra notamment du choix de la Cour de cassation de s’appuyer ou non sur l’article L. 3141-19-1 du code du travail à l’avenir. Après les arrêts de septembre 2023, les organisations patronales avaient fortement pesé sur le législateur en faveur d’une intervention législative rapide afin de limiter les effets de cette jurisprudence. Des mesures furent introduites dans la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne, limites qui consistent pour l’essentiel à limiter le report au strict minimum imposé par le droit de l’Union, c’est-à-dire à quatre semaines de congés payés par an. Si la Cour de cassation maintient le fondement de l’article L. 3141-3 du code du travail, il y a fort à parier que les mêmes acteurs réclameront la limitation du nouveau droit à report.

Quant aux prises de positions médiatiques, méritent-t-elles vraiment que l’on s’y attarde ? Allons-nous voir déferler des milliers d’arrêts de travail adressés aux entreprises pendant les mois de juillet et d’août comme certains le prédisent ? Tout cela est-il bien sérieux… ? Peut-être faut-il simplement rappeler qu’un arrêt de travail relève de la décision d’un médecin et non d’un salarié. Que les médecins sont de plus en plus étroitement contrôlés sur le sujet, au point d’avoir parfois le sentiment d’une injonction paradoxale entre cette surveillance d’un côté et le respect du serment d’Hippocrate de l’autre[20]. Qu’aucune statistique fiable n’est aujourd’hui en mesure de prouver le nombre d’arrêts de travail injustifiés dans notre pays. Que si des abus existent sans doute et qu’il faut les combattre, la loi est faite pour s’appliquer à tous, de façon générale et abstraite et qu’ainsi, lorsque la lutte contre l’abus devient le seul objectif de la législation, c’est la grande majorité, celle qui ne triche pas, qui en subit les conséquences. Qu’en revanche, cela est certain, le revirement aura un coût et que celui-ci sera en partie supporté par les entreprises. C’est sans doute pour cette raison que nos médias sont si bruyants sur le sujet…

Sébastien Tournaux


[1] Un autre arrêt du même jour (Cass. soc., 10 septembre 2025, n° 23-14.455, publié au rapport) également relatif aux congés payés a beaucoup moins pris la lumière, alors qu’il est lui aussi d’une très grande importance. La chambre sociale y juge qu’il convient « d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3121-28 du code du travail en ce qu'elles subordonnent à l'exécution d'un temps de travail effectif les heures prises en compte pour la détermination du seuil de déclenchement des heures supplémentaires applicable à un salarié, soumis à un décompte hebdomadaire de la durée du travail, lorsque celui-ci, pendant la semaine considérée, a été partiellement en situation de congé payé, et de juger que ce salarié peut prétendre au paiement des majorations pour heures supplémentaires qu'il aurait perçues s'il avait travaillé durant toute la semaine ».

[2] Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-17.340 à 22-17.342, 22-17.638, 22-10.529, 22-11.106. Lire M. Ribeyrol, « Quand souffle un vent de mise en conformité du droit du travail français avec le droit de l’Union européenne », Actualité juridique de l’Institut du travail, nov. 2023. https://institutdutravail.u-bordeaux.fr/evenement/lactualite-juridique/anciens-numeros/lactualite-juridique-novembre-2023

[3] Deux autres moyens sont soulevés par la salariée, un premier relatif aux règles de prescription salariale qui aboutit à la cassation et un second relatif au décompte de jours de récupération que la Cour de cassation rejette. Ils ne feront pas ici l’objet de commentaires.

[5] Cass. soc., 4 décembre 1996, n° 93-44.907, publié au bulletin. A l’inverse, un salarié qui tombe malade avant la date prévue pour son départ en congé bénéficiait d’un droit à report, Cass. soc., 16 février 1999, n° 96-45.364, publié au bulletin.

[6] CJUE, 21 juin 2012, Asociacion Nacional de Grandes Empresas de Distribucion, C-78/11.

[7] M. Ribeyrol, préc.

[8] Cela est nettement perceptible dans le préambule et à l’article 1 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003. V. également CJCE, 26 juin 2001, Bectu, C-173/99, § 38.

[9] CJUE, 10 septembre 2009, Perada, C-277/08, § 21.

[10] E. Wurtz, préc. note n°4, p. 9.

[11] Madame Wurtz va jusqu’à suggérer à la chambre sociale de la Cour de cassation d’interpréter l’article L. 3141-3 du code du travail « à la lumière du droit positif issu de la loi du 22 avril 2024 ».

[12] Les dispositions de l’article L. 3141-19-1 du code du travail sont censées être rétroactives par l’effet de l’article 37 II de la loi du 22 avril 2024, mais le texte exclut cette rétroactivité aux affaires « passées en force de chose jugée », ce qui était bien le cas en l’espèce, v. C. proc. civ., art. 500.

[13] Le conseiller Florès évoque seulement une « fiche pratique » du ministère du travail qui recommande aux entreprises de reporter les congés payés des salariés qui subissent un arrêt médical de travail pendant leurs congés, v. Ph. Florès, préc. note n°4, p. 24, mais cette préconisation ministérielle pouvait tout à fait traduire une volonté de respecter le droit de l’Union et non une interprétation de l’article L. 3141-19-1 du code du travail. V. également la fiche pratique du ministère ici (https://travail-emploi.gouv.fr/les-conges-payes#anchor-navigation-45).

[14] Cass. soc., 10 avril 1986, n° 83-42.418, publié au bulletin.

[15] C. trav., art. L. 1237-1-1.

[16] Procédure d’infraction [INFR(2025)4012], v. ici (https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/inf_25_1241)

[17] La mise en demeure de l’État français visait un délai de mise en conformité de deux mois. Toutefois, l’échec d’une telle mise en demeure doit donner lieu à un avis motivé de la Commission que celle-ci n’a pas émis, sans doute officieusement informée des évolutions prochaines de la jurisprudence française.

[18] Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, art. 260.

[19] Si toutefois notre Parlement retrouve prochainement sa capacité à adopter de nouvelles lois…

[20] Par lequel le médecin jure notamment : « Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité ».

Ont participé à ce numéro

>Laurène Joly

>Sébastien Tournaux