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L'Actualité juridique Juillet 2023

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L'édito

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Maryse Badel

Les commentaires

Mise à l'écart du régime protecteur de l'inaptitude en cas d'obstacle au reclassement d'un salarié protégé Note sous CE, 12 avr. 2023, n°458974, mentionné dans les tables du recueil Lebon : Dall. act. 22 mai 2023, obs. E Maurel

Le contentieux des salariés protégés constitue un objet de recherche passionnant en ce qu’il rend possible, sur moult thématiques, une étude croisée de la jurisprudence du Conseil d’État et de la Cour de cassation. Un arrêt du Conseil d’État du 12 avril 2023 relatif à l’inaptitude d’un salarié protégé permet de s’en convaincre.

En l’espèce, une salariée protégée, conseiller du salarié, fut licenciée sans autorisation préalable de l’inspection du travail en mars 2017. L’annulation de ce licenciement par le conseil de prud’hommes (CPH) permit à la salariée de réintégrer l’entreprise en juin 2018. Peu de temps après, la société sollicita et obtint de l’inspection du travail une autorisation de licenciement pour faute en octobre 2018. La faute grave invoquée par l’employeur résidait dans le refus de la salariée de se rendre aux convocations adressées en vue de son reclassement. Saisi par la salariée, le tribunal administratif annula la décision d’autorisation, annulation confirmée en appel par un arrêt de rejet en septembre 2021.

Pour apprécier la légalité de l’autorisation de licenciement, le Conseil d’État devait ainsi indirectement s’interroger sur la validité d’un licenciement prononcé pour un autre motif que l’inaptitude.

En l’espèce, l’arrêt de la cour administrative d’appel (CAA) est annulé pour erreur de droit. Il est reproché à la CAA de s’être fondée uniquement sur le caractère d’ordre public du licenciement pour inaptitude et de ne pas avoir recherché si en refusant de se rendre aux convocations en vue de son reclassement, « la salariée n’avait pas mis son employeur dans l’impossibilité de s’acquitter de son obligation de reclassement ». Dans ces circonstances particulières, le licenciement serait en effet envisageable « pour un autre motif que l’inaptitude tel un motif disciplinaire ». Par cet arrêt, le Conseil d’État introduit donc une brèche dans le régime d’ordre public du licenciement pour inaptitude (II), sans le remettre pour autant en cause (I).

  1. I.Principe : la primauté de l’inaptitude sur les autres motifs de licenciement

Selon nous, le présent arrêt ne saurait être interprété comme une remise en cause par le Conseil d’État de la protection conférée aux salariés inaptes. Il est en effet affirmé au considérant 4 que « lorsqu’un salarié est déclaré inapte à son poste de travail par un avis du médecin du travail, l’inspecteur du travail ne peut, en principe, postérieurement à cet avis, autoriser le licenciement pour un motif autre que l’inaptitude ». Ce faisant, le Conseil d’État applique aux salariés protégés la jurisprudence dégagée par la chambre sociale de la Cour de cassation pour les salariés ordinaires. Les dispositions des articles L. 1226-2-1 (inaptitude d’origine non professionnelle) et L. 1226-12 (inaptitude d’origine professionnelle) du code du travail font en effet obstacle à ce qu’un employeur licencie un salarié inapte pour un autre motif, notamment disciplinaire (Cass. soc., 20 déc. 2017, n° 16-14.983, publié au bulletin ; JCP S 2018, 1063, note M. Babin). Le fait que la procédure de licenciement pour motif disciplinaire précède la déclaration d’inaptitude est d’ailleurs sans incidence. La Cour de cassation a en effet récemment rappelé qu’une cour d’appel ne peut admettre la légitimité d’un licenciement pour faute lourde à l’issue d’une procédure disciplinaire lorsque le salarié est « entre-temps déclaré inapte à titre définitif à occuper son emploi par le médecin du travail » (Cass. soc., 8 févr. 2023 n° 21-16.258 : Bull. civ., V, à paraître ; Dr. soc. 2023, p. 431, ét. F. Héas ; Dall. act. 22 févr. 2023, obs. E. Maurel ; RDT 2023, p. 327, note R. Porcher).

Cette primauté de l’inaptitude semble également jouer à l’égard des motifs économiques de licenciement (Cass. soc. 10 mai 2012 n° 11-11.854, inédit – Cass. soc. 14 mars 2000, n° 98-41.556 : Bull. civ., V, n° 103 p. 80), avec un traitement singulier toutefois réservé par la Cour de cassation à la cessation d’activité (not. Cass. soc., 4 oct. 2017, n° 16-16.441, publié : JCP S 2017, 1421, note L. Fin-Langer – Cass. soc., 9 déc. 2014, n° 13-12.535 : : Bull. civ. 2014, V, n° 280). Dans un arrêt du 15 septembre 2021 (Cass. soc., 15 sept. 2021, n° 19-25.613, publié : JCP S 2021, 1262, obs. M. Babin), un salarié avait été licencié pour motif économique (cessation d’activité en raison du départ en retraite de l’employeur) le jour suivant sa déclaration d’inaptitude. Appliquant la jurisprudence sus-évoquée, la cour d’appel avait jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse. La Cour de cassation censure l’arrêt au motif d’une part que « le salarié ne remettait pas en cause le motif économique » et d’autre part, que « la cessation totale et définitive de l’entreprise établissait l’impossibilité de reclassement ». La même analyse s’impose à l’égard d’une affaire plus récente et régulièrement citée du 26 octobre 2022 (Cass. soc., 26 oct. 2022, n° 20-17.501, Bull. civ., V, à paraître ; BJT 2002, obs. n° BJT201x3 S. Ranc ; RDT  2002, p. 704, obs. O. Guillemot). Une salariée avait demandé la nullité de son licenciement, au motif que la véritable cause de son licenciement n’était pas la cessation d’activité mais son inaptitude. L’arrêt de la cour d’appel qui avait accédé aux demandes de la salariée est cassé pour défaut de base légale. Il lui est reproché d’avoir admis la nullité du licenciement sans rechercher « si la cessation d’activité de l’entreprise invoquée à l’appui du licenciement ne constituait pas la véritable cause du licenciement ». On précisera ici qu’au moment de la notification du licenciement, aucun avis d’inaptitude n’avait été délivré. Or, dans la mesure où la délivrance d’un avis d’inaptitude était seulement envisageable, le bénéfice du régime d’ordre public de l’inaptitude était donc exclu. Dans cette affaire, il appartiendra tout de même à la cour d’appel de renvoi de vérifier l’absence d’une discrimination liée à l’état de santé de la salariée.

Qu’en est-il pour les salariés protégés ? Saisie d’une demande d’autorisation d’un licenciement économique pour cessation d’activité d’un salarié protégé inapte, l’autorité administrative doit-elle délivrer ou refuser l’autorisation ? Sur ce point, la Cour administrative de Marseille a récemment affirmé que l’autorité administrative ne peut légalement modifier le terrain de la demande d’autorisation et se placer sur celui de l’inaptitude (CAA Marseille – 7e ch., 6 janv. 2023, n° 21MA03180, cons. 10 :  RDT 2023, p. 278, concl. Rapp. Publ. O. Guillaumont ; JA 2023, n° 675, p. 12, note D. Castel). Malgré tout, « la liquidation judiciaire ne peut avoir légalement pour effet de faire échec à l’application des dispositions du code du travail relatives à la protection exceptionnelle dont bénéficient certains salariés ». Dans de telles circonstances, il incombe ainsi à l’autorité administrative « d’apprécier la réalité de la suppression des postes de travail et d’examiner le caractère éventuellement discriminatoire de la demande de licenciement » (CAA Marseille – 7e ch., 6 janv. 2023, op. cit., cons. 11). En définitive, il résulte de cet arrêt et, plus largement, de la jurisprudence de la Cour de cassation que le licenciement d’un salarié inapte pour cessation d’activité n’est pas en soi injustifié. Il appartient toutefois à l’inspecteur du travail (pour les salariés protégés) ou au CPH éventuellement saisi (pour les salariés ordinaires) de s’assurer que les conditions du motif économique sont bien remplies, que l’obligation de reclassement a bien été respectée (elle découle de la cessation d’activité lorsque l’entreprise n’appartient à aucun groupe) et que le salarié n’a pas été victime d’une discrimination en raison de son état de santé.

  1. II.Exception : l’obstacle à reclassement comme motif de licenciement disciplinaire

Dans l’arrêt soumis à commentaire, le Conseil d’État consacre une réelle exception selon nous à la primauté du régime de l’inaptitude. Le fait d’empêcher un employeur de s’acquitter de son obligation de reclassement, par exemple en ne se rendant pas aux convocations adressées en vue de son reclassement, constitue en effet une faute de nature à justifier le licenciement du salarié inapte pour un autre motif que l’inaptitude, tel un motif disciplinaire. En l’espèce, la cour administrative d’appel de renvoi devra ainsi déterminer si le comportement de la salariée était constitutif d’un obstacle à reclassement. De deux choses l’une, soit l’obstacle est caractérisable, le licenciement pour faute est donc justifié et l’autorisation était bien légale, soit aucun obstacle n’est relevable, l’autorisation de licenciement pour un motif autre que l’inaptitude encourra alors l’annulation.

En l’espèce, l’obstacle à reclassement n’est pas appréhendé comme une impossibilité de reclassement permettant de légitimer un licenciement pour inaptitude, il constitue un motif disciplinaire supplantant le motif d’inaptitude. Une telle solution fait écho à plusieurs arrêts, certes non publiés, de la Cour de cassation dans lesquels le licenciement d’un salarié inapte, prononcé pour motif disciplinaire, a été jugé justifié compte tenu de l’existence d’un obstacle à reclassement (Cass. soc., 22 juin 2011, n° 10-30.415, inédit – Cass. soc. 16 mars 2016, n° 14-21.304, inédit).

Le raisonnement est en substance le suivant : un salarié qui doit être reclassé pour inaptitude, dont le contrat de travail n’est pas suspendu, qui perçoit son salaire, qui est soumis au pouvoir de direction de l’employeur et qui refuse de se rendre aux convocations devant le médecin du travail dans le cadre de la recherche de son reclassement commet une faute (Cass. soc., 22 juin 2011, n° 10-30.415, op. cit.). L’obstacle à reclassement peut ainsi être analysé comme un « acte d’insubordination » privant le salarié inapte de la protection dont il bénéficie par principe. Pour le dire autrement, un salarié, qu’il soit ou non protégé, ne peut se prévaloir du régime protecteur de l’inaptitude lorsqu’il n’en respecte pas les règles du jeu. En dehors de cette hypothèse, un employeur ne peut en revanche opter pour un autre motif de licenciement.

L’enjeu pour le salarié est en effet ici double : d’une part son éventuel maintien dans l’entreprise (en raison de l’obligation de reclassement) et d’autre part d’ordre pécuniaire (en l’absence de possibilité de reclassement). Lorsque l’inaptitude est d’origine professionnelle (« consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle »), le salarié licencié bénéficie en effet du doublement de son indemnité légale de licenciement (ou de l’indemnité conventionnelle éventuellement plus favorable) et d’une indemnité de préavis. Lorsque l’inaptitude n’est pas professionnelle, le régime de l’inaptitude reste également plus favorable lorsque le licenciement envisagé l’est pour faute grave ou pour faute lourde, la différence résidant dans le bénéfice ou non de l’indemnité légale de licenciement.

Au demeurant, l’obstacle à reclassement ne saurait être confondu avec le « refus abusif » de reclassement. Rappelons que le refus par le salarié d’un emploi conforme aux indications du médecin du travail n’est pas fautif (Cass. soc., 9 avr. 2002, n° 99-44.192 : Bull. 2002, V, n° 122 p. 129) et matérialise simplement l’impossibilité de reclassement permettant de légitimer le licenciement pour inaptitude (C. trav. art. L. 1226-2-1 et L. 1226-12. Sur cette présomption légale de respect de l’obligation de reclassement généralisée par la loi travail de 2016, lire : L. Jubert-Tomasso, « Que reste-t-il de l’obligation de reclassement en cas d’inaptitude du salarié après la loi du 8 août 2016 ? », BJT 2023, n° BJT202j2, p. 38). En matière d’inaptitude d’origine professionnelle, le refus peut malgré tout s’avérer « abusif » avec pour conséquence la perte du bénéfice des indemnités spécifiques (C. trav., art. L. 1226-14 – Cass. soc., 3 févr. 2021, n° 19-21.658, inédit – Cass. soc., 22 juin 2017, n° 16–16.977, inédit). Dans une telle hypothèse, le salarié licencié pour inaptitude d’origine professionnelle perd le bénéfice du doublement de l’indemnité légale et de l’indemnité compensatrice de préavis et perçoit uniquement l’indemnité légale de licenciement. Il y a quelques années, certains avaient proposé que « l’exercice abusif du droit de refuser une proposition de reclassement par le salarié rende ce droit inopposable à l’employeur, en sorte que celui-ci recouvre le droit de sanctionner le défaut d’exécution des obligations du contrat » (M.-C. Amauger-Lattes, « Conséquences du refus par un salarié inapte d’une proposition de reclassement n’emportant pas modification du contrat de travail – note sous Cass. soc., 12 janv. 2005, n° 02-44.643, inédit », JCP E 2005, n° 1600). À notre connaissance, la Cour de cassation n’a depuis lors jamais admis une telle conséquence en présence d’un refus simplement « abusif » (V. not. Cass. soc., 25 mai 2011, n° 09-71.543, inédit). En l’espèce, le Conseil d’État semble s’inscrire dans la même dynamique puisqu’il circonscrit également l’exception au seul obstacle à reclassement.

Marion Galy

 

Equipe rédactionnelle