L'Actualité juridique Mai 2024
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L'édito
Un nouveau tour de vis pour les chômeurs !
La gestion de l’assurance chômage n’est plus strictement paritaire depuis quelques années... En effet, l’intervention de l’État a été grandement renforcée, depuis 2018, avec la création du mécanisme du document de cadrage gouvernemental transmis aux partenaires sociaux préalablement à la négociation de la convention d’assurance chômage[1]. Ce document précise les objectifs de la négociation en ce qui concerne la trajectoire financière, le délai dans lequel cette négociation doit aboutir et, le cas échéant, les objectifs d’évolution des règles du régime d’assurance chômage[2]. Le dernier document de cadrage a été publié début août 2023 pour une négociation de la convention couvrant les années 2024 à 2026, avec l’obligation d’aboutir au plus tard le 15 novembre 2023. Le cadre fixé par le gouvernement sanctuarisait les réformes déjà engagées ces dernières années. Le document interdisait donc aux partenaires sociaux de remettre en cause le mode de calcul de l'indemnisation, moins favorable depuis 2019, aux demandeurs d'emploi alternant chômage et contrats courts. Ils ne pouvaient pas non plus revenir sur la modulation des règles d'indemnisation en fonction de la conjoncture économique (contracyclicité)[3].
La négociation de la nouvelle convention d’assurance chômage 2024-2026 s’est ouverte le 12 septembre 2023. Dans ce contexte, la voie était extrêmement étroite pour trouver un accord. Pourtant, les partenaires sociaux ont cherché de nouveau à « sauver » le paritarisme et la négociation s’est soldée par un accord conclu le 10 novembre 2023 pour éviter, comme en 2019, de perdre à nouveau la main sur la définition des règles d’indemnisation au profit de l’exécutif. Le patronat et trois syndicats (CFDT, FO, CFTC) étaient ainsi parvenus, au terme d’une négociation laborieuse, à un accord sur les règles d’indemnisation mais ils avaient laissé en suspens la question de l’indemnisation des seniors, afin de négocier d’abord sur leurs conditions de travail et de maintien en emploi.
Même si, les partenaires sociaux considèrent que le dispositif d’encadrement a priori de la négociation ne permet pas d’assurer une gouvernance satisfaisante du régime d’assurance chômage[4], syndicats et patronat se sont attelés à démontrer que le paritarisme n’était pas synonyme d’impasse et qu’il pouvait aboutir à des compromis acceptables.
Las…les efforts ont été vains. L’échec des négociations entre les partenaires sociaux sur le pacte de la vie au travail et surtout sur l’emploi des seniors, qui devaient décider du sort de l’accord conclu en novembre 2023 sur l’assurance chômage, a permis au gouvernement de reprendre une nouvelle fois la main[5].
En réalité, dès janvier et sans attendre l’issue des négociations sur l’emploi des seniors, le Premier ministre, Gabriel Attal, avait annoncé vouloir « aller plus loin dans la réforme de l’assurance-chômage » ce qui se traduirait par une nouvelle refonte du système d’indemnisation.
Le ministère du Travail a confirmé le 22 avril 2024 que le gouvernement fixera de nouvelles règles d’indemnisation pour les demandeurs d’emploi par « un décret de carence » avec une prise d’effet au 1er juillet. Même si des économies importantes sont d’ores et déjà attendues, il apparaît indispensable à l’exécutif de réduire encore le rythme des dépenses. Cet impératif s’incarne dans les multiples pistes de durcissement du régime envisagées : réduction de la durée d’indemnisation ; allongement de la durée d’affiliation (c’est-à-dire le temps qu’il faut avoir travaillé pour ouvrir droit à une indemnisation) ; dégressivité des allocations[6]. Il est même désormais question de s’attaquer au différé d’indemnisation spécifique[7].
Le rétablissement de la trajectoire financière du régime d’assurance chômage afin de dégager des excédents permettant de rembourser petit à petit la dette repose donc sur une « recette » déjà mobilisée par le passé : brider les dépenses en modifiant à nouveau les règles d’indemnisation.
In fine, comme le fait remarquer Bruno Coquet, ce sont toujours les règles d’indemnisation qui sont révisées à la baisse, rarement d’autres postes de dépenses[8]. Cette approche purement budgétaire conduit à ce que l’assurance chômage perde progressivement sa logique assurantielle. En réalité, d’autres pistes pour sécuriser la trajectoire financière de l’assurance chômage existe…
La secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet rappelait fin mars, sur franceinfo, que les comptes de l’assurance chômage « sont équilibrés et excédentaires. Ce qui est déficitaire, ce sont les comptes de l’État »[9]. Le gouvernement martèle pourtant, à l’envi, que la trajectoire financière de l’assurance chômage pose problème…
En réalité, les comptes de l’Unédic sont grevés de dépenses contraintes sur lesquelles les organisations syndicales et patronales n’ont pas la main et qui leur sont imputées, tout en étant hors de leur champ de compétence de gestionnaires de l’assurance chômage. Ainsi, des coûts structurels bien identifiés alimentent la dette de l’Unédic[10]. Parmi ces coûts, se trouve notamment la contribution du régime d’assurance chômage au financement du service public de l’emploi.
Avec la création de France Travail, le Gouvernement porte « l’ambition d’un emploi pour tous à travers un accompagnement socioprofessionnel renforcé des personnes qui en ont le plus besoin, et une transformation du service public de l’emploi et de l’insertion »[11]. Mais quid du financement du nouveau réseau et de ses opérateurs ? Les investissements nécessaires à la création de France Travail sont évalués entre 2,3 et 2,7 milliards d’euros sur la période 2024-2026. La contribution financière de l’État au nouvel ensemble a été dévoilée par le projet de convention tripartite Etat-France Travail-Unédic 2024-2027 signée le 30 avril 2024 : le montant de la subvention pour charge de service public versée par l’Etat à France Travail a été fixé à 1,35 milliard d’euros sur chacune des quatre années de la convention[12]. Parallèlement, les éléments contenus dans la note de cadrage de la négociation sur l’assurance chômage indiquaient que la contribution de l’Unedic à France Travail augmenterait de 11% de ses recettes aujourd’hui, à 13% en 2026[13]. À cet horizon, la contribution de l’Unedic dépasserait ainsi 6 milliards d’euros !
Le projet France Travail témoigne ainsi clairement d’un désengagement financier de l’Etat. Or, le projet France Travail prévoit un accompagnement renforcé pour les bénéficiaires du RSA qui devront tous (ainsi que leur conjoint !) s’inscrire à France Travail alors qu’ils ne sont que 40% à être inscrits à Pôle Emploi aujourd’hui. Dès lors, sauf en cas de hausse substantielle du financement étatique, il semble peu probable que les services offerts (notamment en termes d’accompagnement) aux demandeurs d’emploi indemnisés s’amélioreront.
Les nouvelles règles de l’assurance chômage seront dévoilées dans les prochains jours par le Premier ministre, Gabriel Attal et de la ministre du Travail, Catherine Vautrin, nul ne doute malheureusement que c’est un énième rétrécissement des droits des assurés sociaux qui sera annoncé !
Laurène Joly
[1] Ce mécanisme a été créé par la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018. V. C. Willmann, « Assurance chômage : vers une nouvelle organisation juridique et financière », JCP S, 2018, p. 1312.
[2] C. trav., art. L. 5422-20-1.
[3] Depuis le 1er février 2023, la durée d'indemnisation a ainsi été réduite de 25% et ne sera rallongée qu'en cas de forte dégradation économique
[4] O. Mériaux, « Le paritarisme a-t-il encore un avenir ? », SSL, n°1851, 2019, p. 4 : « il est compliqué pour les organisations confédérales de négocier sous tutelle de l’Etat ».
[5] Cette négociation a abouti à une impasse le 10 avril, le patronat refusant de prendre de nouveaux engagements contraignants alors que les syndicats voulaient obtenir des droits nouveaux pour les salariés. La convention d’assurance-chômage n’a donc pas pu être complétée en l’absence d’accord sur l’emploi des seniors.
« Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage », s’est indignée dans un communiqué FO, pour qui le gouvernement « prétexte » de l’échec des négociations sur l’emploi des seniors pour reprendre la main sur l’assurance-chômage.
[6] Assurance chômage : Gabriel Attal annonce une nouvelle réforme d’ici à l’automne, LSQ n°19012 du 29 mars 2024.
[7] Selon Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, interrogée par Le Parisien le dimanche 28 avril, la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, Catherine Vautrin, explorerait actuellement « des choses qui n’ont jamais été faites », concernant l’assurance chômage. Lors d’un entretien entre la CGT et la ministre, cette dernière aurait affirmé que « cela peut être plus violent que les économies demandées lors de la précédente négociation de l’automne ». Catherine Vautrin nous a seulement cité la piste du différé d’indemnisation spécifique, indiquant qu’elle préférait cette mesure visant surtout les cadres à celle d’un durcissement de la durée d’affiliation », explique Sophie Binet.
[8] B. Coquet, « L’assurance chômage a-t-elle encore un avenir ? », Droit social, 2024, p. 32.
[9] https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-grand-temoin/assurance-chomage-les-annonces-de-gabriel-attal-confirment-le-mepris-profond-du-gouvernement-envers-les-acteurs-sociaux-denonce-sophie-binet_6420376.html
[10] https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/quelle-trajectoire-financiere-pour-lassurance-chomage/
[11] Exposé des motifs du projet de loi pour le Plein Emploi.
[12] https://www.unedic.org/actualites/signature-de-la-convention-tripartite-etat-unedic-france-travail-2024-2027
[13] Le document de cadrage de cette négociation indique en effet que « la contribution de l’UNEDIC à Pôle emploi devra de plus permettre d’accompagner la montée en charge de la réforme de France Travail. Cette réforme, par l’accompagnement plus intensif des publics les plus éloignés de l’emploi et par la mise en place d’une offre de service plus performante aux entreprises, est essentielle pour atteindre le plein emploi. Ainsi la contribution de l’UNEDIC a vocation à monter en charge au fur et à mesure que le régime dégage des excédents pour atteindre en 2026 entre 12% et 13% des recettes de l’Unédic ».
Les commentaires
Actualité du devoir de vigilance à l’aune du jugement du 5 décembre 2023 et de la proposition de directive européenne
Alors que la doctrine perdait espoir quant au prononcé d’une décision au fond en matière de devoir de vigilance des entreprises, le tribunal judiciaire de Paris a rendu le 5 décembre dernier un jugement sanctionnant la société La Poste pour insuffisance de son plan de vigilance (TJ Paris, 5 déc. 2023, n°21/15827, SUD PTT c/ La Poste). Cette décision, dont la société a dernièrement annoncé faire appel, est intervenue quelques jours avant que le Conseil de l’UE et le Parlement européen ne trouvent un accord partiel concernant la proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (Accord sur les règles en matière de devoir de vigilance des entreprises pour protéger les droits humains et l’environnement, Conseil de l’UE, communiqué de presse du 14 déc. 2023).
Il aura fallu attendre près de 7 ans après la promulgation de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre et plus de 10 ans après le tragique effondrement du Rana Plaza au Bangladesh pour que l’horizon s’éclaircisse. Ainsi, les avancées sur ce seul mois de décembre 2023 ont pu sembler spectaculaires. En une semaine, tout se débloquait enfin ! Depuis 2021 en effet, le contentieux français relatif au devoir de vigilance stagnait un peu devant les juges de la mise en état (TJ Paris, 30 nov. 2021, n° 20/10246, EDF ; TJ Paris, 1er juin 2023, n° 22/07100, Suez ; TJ Paris, 6 juill. 2023, n° 22/03403, Total Energies) ou en référé (TJ Paris, 28 février 2023, n°22/53942 et n° 22/53943). Les décisions rendues le 28 février 2023 (préc.) délivraient déjà des enseignements intéressants, mais le tribunal judiciaire rejetant l’action des ONG contre la société Total Energies pour manquement aux obligations relatives à son plan de vigilance, il était difficile de ne pas rester sur sa faim (V. sur ces décisions, J.-M. Moulin, « Plan de vigilance : une décision en attendant…la directive européenne », Rev. de droit bancaire et financier n° 2, mars-avr. 2023, comm. 61 ; S. Sfoggia, « Devoir de vigilance – Le juge pose les premières bases du devoir de vigilance des entreprises en France », Cahiers de droit de l’entreprise n° 2, mars-avr. 2023, éditorial 2). La proposition de directive de la Commission européenne sur le devoir de vigilance des entreprises a par ailleurs été publiée il y a plus de deux ans, en février 2022 (COM(2022) 71 final, 23 févr. 2022) à la suite d’une résolution du Parlement européen de 2021 (Résolution du Parlement européen du 10 mars 2021 contenant des recommandations à la Commission sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises).
Tout se débloquait donc… Enfin presque ! Car l’adoption de la proposition de directive à laquelle sont parvenus les États membres le 15 mars dernier seulement a été chaotique et le texte vidé de sa substance par rapport à la proposition initiale. Après que le Parlement européen ait adopté la directive sur la base de l’accord entériné mi-mars ce mercredi 24 avril 2024 avec 374 voix favorables contre 235 défavorables et 19 abstentions, le texte doit être encore formellement approuvé par le Conseil et signé avec d’être publié (A. Dumourier, « Devoir de vigilance des entreprises : les députés européens adoptent la directive », Le Monde du droit, 24 avr. 2024).
La France, quant à elle, est toujours pionnière en la matière comme en témoigne l’annonce récente de la création à la Cour d’appel de Paris d’une chambre dédiée au contentieux relatif au devoir de vigilance et à la responsabilité écologique (N. Walker, « Création d’une chambre chargée du contentieux de devoir de vigilance et de responsabilité écologique : enjeu crucial et grande opportunité », Option Droit&Affaires, 28 févr. 2024, n°666, p. 8). Pour autant, d’une part l’attitude des représentants français dans la lente procédure d’adoption de la directive a pu paraître peu responsable et d’autre part, le juge français fait preuve d’une certaine retenue dans la décision du 5 décembre 2023.
On assiste donc à des avancées en demi-teinte qui laissent un peu un sentiment d’inachevé.
I. Deux pas en avant
Malgré les réserves que l’on pourra y apporter, le jugement du 5 décembre 2023 comme la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité constituent des avancées historiques et il faut s’en réjouir.
Dans l’affaire qui a occupé le Tribunal judiciaire de Paris, le syndicat SUD-PTT prétendait que le plan de vigilance établi par la société La Poste n’était pas conforme aux exigences posées par l’article L. 225-102-4 du Code de commerce. Via une action en injonction, il demandait donc à ce qu’il soit modifié et complété par des mesures de lutte contre le harcèlement, les risques psycho-sociaux, la sous-traitance illicite et le travail dissimulé.
Sans faire droit à l’ensemble des demandes du syndicat, le Tribunal enjoint La Poste de compléter son plan par une cartographie des risques moins générale permettant d’identifier et de prioriser clairement les facteurs de risques liés aux activités de l’entreprise et d’analyser leurs impacts. Il découlait par ailleurs du défaut de précision de la cartographie une impossibilité pour les juges d’apprécier l’efficacité des procédures d’évaluation des sous-traitants et des actions de maîtrise des risques que le Tribunal demande subséquemment à la société de revoir. Il en est de même du dispositif de suivi des mesures de vigilance mises en œuvre, qualifié d’incomplet par la juridiction. Enfin, s’agissant du mécanisme d’alerte, il est demandé à la société de procéder à une concertation avec les organisations syndicales représentatives. Le juge parisien précise donc l’étendue de son contrôle et exige une cartographie et, plus généralement, un plan de vigilance précis, exempts de mesures trop générales.
La pédagogie et l’audace du juge qui a su pallier l’absence de décret d’application de la loi de 2017 ou de lignes directrices posées en la matière ont pu être soulignées (v. not. E. Schlumberger, « Devoir de vigilance : les enseignements d’une première condamnation », BJS, mars 2024, p. 20 ; A. Oumedjkane, « Le tribunal judiciaire de Paris livre sa première interprétation de la loi relative au devoir de vigilance », JCP A n°3, 22 janv. 2024, 2016). Il en est de même de l’équilibre de la décision qui ne dicte pas de mesures précises et contraignantes susceptibles de nuire à la compétitivité des entreprises soumises à l’élaboration d’un plan de vigilance face aux autres, mais qui impose une certaine transparence de leur part (A. Oumedjkane, préc. ; J.-B. Barbièri, « Devoir de vigilance : la fin du début ? », JCP G, n° 03, 22 janv. 2024, act. 85)
La transparence, il faut le mentionner, est reconnue comme l’un des piliers de la RSE par la norme ISO 26000 et, en cela, mais aussi par le rappel de l’importance du dialogue avec les parties prenantes, la décision marque l’ancrage du devoir de vigilance dans la RSE.
Le communiqué de Presse du Conseil de l’UE du 14 décembre dernier pointe également l’importance de la concertation avec les parties prenantes dans la directive tout en laissant le soin aux entreprises d’identifier le niveau d’information et de consultation le plus pertinent.
Sous l’impulsion des députés européens, la proposition de directive portait de grandes ambitions. Ainsi en est-il de la désignation ou de la création par les États de l’UE d’une autorité de contrôle chargée de veiller au respect de leurs obligations par les entreprises. Il en de même du régime de responsabilité civile des entreprises pour manquement à leurs obligations liées au devoir de vigilance avec octroi de dommages-intérêts pour les victimes.
Certaines des belles intentions initiales ont pourtant été revues à la baisse le 15 mars dernier lors de l’adoption de la proposition de directive.
II. Un pas en arrière
Sous la pression des organisations patronales, en particulier du BDI allemand et du Medef, accusés par la députée européenne Lara Wolters, rapporteur de la proposition et négociatrice du Parlement, d’avoir saboté le processus (socialistsanddemocrats.eu), le texte de la directive s’est progressivement appauvri.
Sans que cela étonne au vu des débats que la mesure avait suscités parmi les États, mais aussi entre le Parlement, le Conseil et la Commission (la doctrine avait même anticipé cette suppression, v. par ex. B. Lecourt, « Directive sur le devoir de vigilance des sociétés : les belles intentions des députés européens », Rev. sociétés 2023, p. 706), l’obligation d’intégrer la durabilité dans la gestion de la société, comme le prévoit notre article 1833 du Code civil, a été supprimée. Il en est de même de la mesure visant à lier une partie de la rémunération des dirigeants à la stratégie climatique mise en œuvre (Amendement n° 256, art. 15 §3 à la proposition de directive). Comme le prévoit la loi de 2017 en France, les entreprises concernées devront notamment établir une cartographie des risques d’atteinte aux droits de l’homme et à l’environnement et réparer le cas échéant les effets négatifs causés par leurs activités ou celles des entreprises comprises dans leur « chaîne de valeur », notion dont le sens a été limité.
Mais le principal recul n’est pas là. Il réside dans le champ d’application du texte qui a été drastiquement réduit. À terme, la directive s’appliquera aux entreprises de plus de 1000 salariés et réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 450 millions d’euros, alors que l’accord auquel étaient parvenus le Conseil et le Parlement le 14 décembre dernier visait les entreprises de plus de 500 salariés réalisant un chiffre d’affaires d’au moins 150 millions d’euros. D’après un communiqué de l’ONG ECCJ (https://corporatejustice.org/news/reaction-csddd-endorsement-brings-us-0-05-closer-to-corporate-justice/), cela représenterait 0,05% des entreprises européennes. Il est également prévu que la mise en œuvre de la directive soit progressive. Ainsi, elle s’appliquera à partir de 2027 aux entreprises de plus de 5000 salariés ayant un chiffre d’affaires d’au moins 1500 millions d’euros, à partir de 2028, à celle de 3000 salariés avec un chiffre d’affaires d’au moins 900 millions d’euros, avant d’être étendue, à partir de 2029, à celle de plus de 1000 salariés réalisant un chiffre d’affaires de plus de 450 millions d’euros.
La France qui avait, elle, proposé que la directive s’applique aux entreprises de plus de 5000 salariés a également obtenu, sous la pression des grands groupes bancaires, que le secteur financier soit temporairement exclu de son champ d’application (https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/12/14/corporate-sustainability-due-diligence-council-and-parliament-strike-deal-to-protect-environment-and-human-rights/).
L’État français ne s’est donc pas montré exemplaire au cours de la procédure d’adoption de la directive. Il sape un peu le travail du juge parisien qui, il convient tout de même de le remarquer, s’est montré en léger retrait (v. égal. en ce sens, E. Schlumberger, préc.) dans la décision du 5 décembre dernier.
Le rejet de certaines des demandes d’injonction du syndicat SUD PTT ne semble pas critiquable et participe à l’équilibre trouvé par les juges. La demande portant sur la publication de la liste des sous-traitants et fournisseurs de la société La Poste est jugée contraire à la protection du secret des affaires ; celle sur la prévention du harcèlement, du travail dissimulé et des risques psycho-sociaux, considérée comme « dépassant (…) l’office du juge ». En effet, selon les termes de la décision, il n’appartient pas au juge de « se substituer à la société et aux parties prenantes pour exiger d’elles l’instauration de mesures détaillées et précises ». Le juge ne prétend pas que le plan de vigilance ne doit pas contenir des mesures spécifiques. Il indique seulement qu’il ne dictera pas la nature de ces mesures aux sociétés. Outre qu’elle encourage l’autorégulation des entreprises, cette solution s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence constante en rappelant la théorie de l’employeur seul juge (v. sur l’inscription de la décision dans cette jurisprudence, T. Lahalle, « Devoir de vigilance : première décision », JCP S, n° 4, 30 janv. 2024, 1034).
La retenue du juge se manifeste toutefois au plan des sanctions car il n’impose à la société ni astreinte, pourtant demandée par le syndicat, ni délai pour se mettre en conformité. Il s’appuie sur le comportement de la société qui n’a cessé d’améliorer son plan de vigilance depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2017. On peut donc penser que la solution aurait été différente si la société n’avait pas été dans cette démarche et s’il avait été demandé réparation des préjudices liés aux manquements au devoir de vigilance, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. En lui témoignant ici sa confiance, le juge s’assure de l’adhésion de l’entreprise au dispositif de vigilance. La question est de savoir s’il maintiendra ce cap à l’avenir ou s’il durcira sa position.
Marie Lafargue
Retour sur les contours de l’accident de trajet. Civ. 2e, 29 février 2024, n°22-14.592, FB.
Peu nombreux sont les arrêts de la cour de cassation sur la notion d’accident de trajet, comme si les débats sur le trajet protégé et le périmètre de l’article L411-2 du code de la sécurité sociale qui le définit étaient clos. L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 29 février 2024 montre qu’il n’en est rien et mérite pour cette raison l’attention.
En l’espèce, le salarié était tombé en déneigeant sa voiture garée sur une place extérieure, devant chez lui, avant de se rendre à son travail. Le contentieux était né après que la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) avait refusé de prendre en charge sa chute comme accident de trajet. La commission de recours amiable de la CPAM, d’abord saisie, avait rejeté son recours, et le Pôle social du tribunal judiciaire de Douai devant lequel le contentieux avait débuté l’avait de même débouté.
La cour d’appel (Amiens, 9 déc. 2021, n°20/03944) à son tour appelée à se prononcer sur la demande de la victime avait à l’inverse fait droit à sa demande et accepté de retenir l’accident de trajet. Elle avait pour ce faire soigneusement motivé son arrêt. Elle avait relevé que l’heure de la survenance des faits s’expliquait par le fait que la victime avait pris les précautions nécessaires pour anticiper les difficultés de circulation liées aux intempéries afin de prendre son poste à son horaire habituel. Elle avait retenu que les lésions de la victime, constatées le jour même et imputées à sa chute sur le verglas situé près de son véhicule, étaient compatibles avec la description des faits. Elle avait enfin observé que la victime n’avait pas interrompu ou détourné son trajet entre la sortie de son domicile et le lieu de son travail pour un motif dicté par son intérêt personnel et étranger aux nécessités essentielles de la vie courante.
La CPAM formait alors un pourvoi en cassation. Elle affirmait d’abord que la cour d’appel avait violé l’article L411-2 en intégrant dans le trajet des actes qui le précédaient ou le préparaient, en l’occurrence les opérations de déneigement indispensables et préparatoires à son départ pour le travail. Elle estimait ensuite que la cour d’appel n’avait pas donné de base légale à sa décision car elle s’était abstenue de rechercher si le lieu de l’accident n’était pas un parking privé constituant une dépendance de l’habitation de l’assuré.
La deuxième chambre civile rejette le pourvoi.
Elle énonce d’abord que, selon l’article L411-2 du code de la sécurité sociale, « l’accident survenu pendant le trajet entre la résidence du salarié et le lieu de travail est considéré comme un accident devant être pris en charge au titre de la législation professionnelle ». Puis, après avoir repris de façon substantielle la motivation des juges du fond et rappelé que la qualification d’accident de trajet relève de leur pouvoir souverain d’appréciation, elle affirme qu’ils ont caractérisé l’accident du trajet en mettant en évidence que la victime avait quitté sa résidence et ses dépendances au moment de l'accident, qu’ils ont procédé à la recherche prétendument omise et démontré qu’au moment des faits, la victime se trouvait sur le trajet pour se rendre à son travail. Ils ont ainsi légalement justifié leur décision.
S’il est vrai que certains arrêts de rejet sont sans grand apport pour l’appréhension des notions juridiques, tel n’est pas le cas de ceux rendus sur le fond du droit comme celui du 29 février 2024 ici rapporté. En se référant aux différentes conditions requises pour retenir la qualification d’accident de trajet, il est en effet l’occasion de faire le point sur les contours de cet accident, en particulier sur les bornes du parcours protégé (1) et la temporalité dans lequel il doit être effectué (2).
1. Les bornes du trajet protégé
À la différence de l’article L411-1 du code de la sécurité sociale qui donne une définition très synthétique, presque elliptique, de l’accident du travail, l’article L411-2 sur l’accident du trajet est beaucoup plus prolixe. Il s’emploie en particulier à identifier précisément les extrémités du trajet qui permettent de déterminer matériellement le parcours protégé. Aux côtés du lieu de travail, extrémité pérenne du parcours protégé, il énumère une série de lieux pouvant être utilement retenus comme points de départ ou d’arrivée de ce parcours.
Le lieu du travail ne pose guère de difficulté. La notion, commune avec celle mobilisée pour appliquer la présomption d’accident du travail, s’entend largement. Elle comprend tout endroit où le salarié se trouve ou se rend sur l’ordre de son employeur. Il s’agit du lieu habituel ou occasionnel du travail, lequel intègre tous les locaux de l’entreprise et ses dépendances, dès lors que l’employeur est en mesure d’y exercer son pouvoir d’organisation, de surveillance et de contrôle. Ainsi, un accident est « du travail » quand il survient sur le parking de l’entreprise, le trajet protégé au titre de la législation professionnelle prenant fin dès que le salarié pénètre en des lieux où s’exerce l’autorité patronale (Ass. plén. 3 juill. 1987, D. 1987. 573, concl. Cabannes ; Civ. 2e, 31 mai 2006, n°04-19.449, inédit). L’accident est en revanche « de trajet » quand le salarié se déplace à l’extérieur de ce périmètre (Soc. 3 mars 1966, Bull. IV, n°246).
Les autres bornes pouvant délimiter le parcours protégé sont limitativement énumérées par l’article L411-2. Outre la résidence principale dont il est question dans la décision rapportée, il peut s’agir de la résidence secondaire présentant un caractère de stabilité, telle une maison de campagne périodiquement utilisée, de tout autre lieu où le salarié se rend de façon habituelle pour des motifs d’ordre familial, ce qui suppose un séjour (Ass. plén. 29 févr. 1968, Grands arrêts du droit de la sécurité sociale, LGDJ, n°53, 2e espèce), ou encore de tout lieu où le salarié prend habituellement ses repas, ce qui désigne tout endroit où le repas est consommé (café (Soc. 8 nov. 1977, Bull. V, n°602), jardin public (Soc. 10 févr. 1994, RJS 1994, n°315), restaurant…), mais non celui où il est simplement acheté (Soc. 17 janv. 1971, Bull. V, n°420).
C’est la résidence principale ou, à tout le moins, ses limites qui étaient en cause dans l’affaire jugée. Cet endroit, qui s’entend du lieu où le salarié vit habituellement, donc de son domicile, doit être pris en compte dans son entièreté. En plus de la maison d’habitation, il comprend toutes les dépendances attenantes et privatives qui en sont l’accessoire qu’il s’agisse d’un jardin, d’un escalier, d’une remise, d’une cour ou d’un garage (Soc. 28 juin 1989, Bull. V, n°485 et 486 ; Soc. 31 janv. 1991, RJS 1991, n°394 ; Soc. 23 mai 1997, n°95-20.433). Le trajet protégé du salarié débute ou s’achève dès qu’il franchit les limites de la résidence principale ainsi définie. Il commence par exemple quand le salarié qui vit en immeuble collectif passe la porte de son appartement en partant travailler, mais seulement quand il franchit le portail de son jardin s’il est en maison individuelle. La décision de la cour de cassation est donc on ne peut plus classique. La cour d’appel ayant constaté, à partir des éléments de faits et de preuve qui lui avaient été soumis, que le salarié était tombé en déneigeant son véhicule garé devant son domicile, sur un emplacement qui lui était extérieur, elle avait pu valablement décider que son trajet avait débuté.
Par ailleurs, le salarié est en principe protégé lorsqu’il se déplace entre son lieu de travail et l’une de ces bornes « dans la mesure où le parcours n’a pas été interrompu ou détourné pour un motif dicté par l’intérêt personnel et étranger aux nécessités essentielles de la vie courante ». La deuxième chambre civile, reprenant la motivation des juges d’appel, rappelle ces exigences énoncées par l’article L411-2, 2°. C’est dire que la protection n’est maintenue qu’au salarié qui se trouve sur son itinéraire normal, lequel consiste dans le parcours le plus court tout en restant adapté au mode de déplacement qu’il choisit. L’itinéraire le plus court, qui s’entend du plus rapide (Soc. 4 juill. 1958, Bull. IV, n°869), peut ne pas être le plus direct s’il favorise un gain de temps. Seuls, les nécessités essentielles de la vie courante et, depuis la loi du 17 juillet 2001, le covoiturage régulier, permettent au salarié de s’en détourner, donc d’allonger le trajet tout en conservant le bénéfice de la protection. Dans la décision rapportée, la cour de cassation se réfère uniquement aux premières qui, selon la jurisprudence, s’entendent par exemple des menus achats, des démarches urgentes ou des nécessités familiales (Ass. plén. 13 déc. 1985, Bull. civ., n°11).
Qu’elles tiennent aux bornes du trajet ou au parcours emprunté par le salarié, les exigences rappelées montrent que le déplacement protégé au titre de l’accident de trajet doit présenter une forme de normalité quant à ses conditions matérielles d’exécution. Il faut de surcroît y ajouter une dimension temporelle, également soulignée par la deuxième chambre civile dans l’arrêt rapporté.
2. La temporalité du trajet protégé
La dimension temporelle intervenant dans la définition du trajet protégé par la législation professionnelle n’est pas énoncée par l’article L411-2 du code de la sécurité sociale. Elle résulte de la jurisprudence.
Les juges exigent en effet que le trajet se situe dans un délai normal par rapport au début ou à la fin du travail, cette normalité devant s’apprécier au regard du moyen de transport utilisé par le salarié et des difficultés éventuelles de la circulation (Soc. 30 nov. 1977, Bull. V, n°666). Ils sont donc particulièrement attentifs aux horaires de travail et aux circonstances qui peuvent expliquer l’avance ou, au contraire, le retard pris par le salarié pour entreprendre son déplacement. Par exemple, tout motif ou obligation d’ordre professionnel qui, du reste, diffère la fin du travail, justifie que le trajet soit retardé et qu’il conserve sa qualification professionnelle. Logiquement, les horaires variables peuvent aussi donner une géométrie variable à la normalité du temps du trajet (rép. Kalinsky, n°30195, JO 28 août 1976, AN quest. p. 5881). Enfin, un évènement indépendant de la volonté du salarié, tel un embouteillage, une panne ou une grève, ne rend pas le temps du déplacement anormal car il explique la discordance temporelle. À l’inverse, les juges considèrent généralement que les convenances personnelles ne peuvent justifier une modification du temps de déplacement (Soc. 4 déc. 1985, Bull. V, n°571), pas plus que des discussions syndicales pour un salarié qui n’est titulaire d’aucun mandat (Soc. 23 mai 1975, Bull. V, n°276).
La décision de la deuxième chambre civile est donc également sur ce point très classique. Elle confirme l’arrêt d’appel dans lequel les juges du fond avaient parfaitement justifié le départ inhabituellement précoce du salarié de son domicile. Selon eux, « l’heure de survenance des faits est compatible avec les nécessaires précautions prises par la victime pour anticiper les difficultés de circulation inévitables en cas d'intempéries et être en mesure de se présenter sur le lieu de son travail à son horaire habituel de prise de poste ». Les circonstances exceptionnelles d’intempéries justifiaient donc bien le moment de l’accident, et l’anticipation dont avait fait preuve le salarié ne devait pas conduire à le pénaliser en disqualifiant sa chute en simple accident de droit commun.
Maryse Badel
La transparence de l’employeur dans la relation de travail, de l’information pratique aux idéaux
En 1993, le doyen Carbonnier écrivait « Le bien vient de la communication, par la communication. Le mal vient d’un défaut de communication, c’est-à-dire finalement d’un défaut de transparence »[1]. Dans une démarche de recherche du bien, dans de nombreux domaines, la transparence est aujourd’hui au centre des évolutions réglementaires. En droit du travail, elle est utilisée pour rééquilibrer les pouvoirs, améliorer la relation de travail. Il s’agit tantôt de renforcer l’information et donc la transparence pour garantir le respect de droits fondamentaux comme le droit à la santé au travail du salarié, tantôt de limiter une trop grande transparence, facteur d’atteinte à ses droits fondamentaux, comme le droit à la protection de la vie privée. La promotion et la réflexion autour de la vigilance, de la prévention, de la transparence, participent à l’adaptation de la protection des droits de l’Homme à l’évolution de la société, au développement de l’éthique au travail. Il s’agit d’instiller un juste « dosage » de transparence, pour conduire au meilleur comportement dans une situation donnée dans la relation de travail.
Historiquement, la notion de transparence est héritée du siècle des Lumières. Transformée en instrument de gestion[2], l’exigence de transparence a été progressivement réglementée à partir des années 1970, dans de nombreuses disciplines. Il s’est agi de promouvoir un certain droit de savoir dans des situations de déséquilibre des pouvoirs. La transparence est apparue comme un instrument de qualité de la gestion des organisations.
La transparence s’est imposée dans le secteur public pour rétablir les équilibres dans le rapport entre les pouvoirs publics et les administrés. Elle est ainsi apparue non seulement en droit administratif, avec la réglementation de l’accès aux documents administratifs[3], la communication des critères d’attribution des marchés publics, ou encore la motivation des décisions judiciaires. Elle s’est encore immiscée en politique, avec l’exigence de la publication des déclarations de patrimoine des élus, les politiques publiques de lutte anticorruption, etc.[4] Associée à la notion de « bonne gouvernance »[5], la transparence apparaît comme un indice de qualité au service de l’intérêt général, de la société.
En parallèle, la transparence a été recherchée dans le secteur privé. En droit de l’entreprise, le droit des sociétés a développé l’information des associés pour une meilleure transparence de la structure sociétaire, renforcé l’indépendance des commissaires aux comptes pour une meilleure transparence des comptes sociaux, réglementé les marchés financiers... La transparence est aussi apparue au fondement de la construction du droit de la consommation, pour protéger le consommateur profane par rapport au professionnel qui connaît son produit ou sa prestation. L’aspiration à davantage de transparence a aussi naturellement toute sa place en droit du travail, notamment pour compenser l’état de subordination du salarié par rapport à son employeur[6].
Le thème de la « transparence dans la relation de travail », pleinement d’actualité, sera envisagé de manière ciblée, à travers le prisme de certaines obligations d’information dues par l’employeur à l’égard des salariés, sans exhaustivité. L’obligation de transparence du salarié à l’égard de l’employeur n’est pas développée. Les salariés sont entendus de manière classique comme ceux qui fournissent un travail en échange d’une rémunération et se trouvent en état de subordination. L’employeur est celui qui dirige l’entreprise, entité économique et sociale qui permet la production et la vente de biens et de services, par le biais de la mise en œuvre de moyens humains, matériels et financiers, dans le respect des intérêts sociaux et environnementaux. Quant à la transparence, dans un sens général, il s’agit du droit de savoir, d’être informé, par la communication, la publication, la motivation. Plus précisément, la transparence est une notion dualiste, à la fois théorique, dans la recherche de l’idéal qu’elle poursuit, et pratique, par les obligations qui permettent sa mise en œuvre. C’est ainsi qu’un auteur a défini la transparence comme « un ensemble de techniques juridiques contenant aussi bien des normes que des représentations idéales fondées sur une réévaluation du rapport savoir/pouvoir en renvoyant à un processus unilatéral ou multilatéral de communication d’informations dans un but d’efficacité ou de légitimation »[7]. Pour la doctrine, « comme en droit général, le discours juridique sur la transparence en droit du travail révèle une notion vague représentant aussi bien des normes que des idéaux »[8].
Pourtant, en ce début du XXIe siècle, il semblerait que la notion de transparence se précise à travers un nombre croissant de textes prônant une plus grande transparence, que ce soit en droit interne ou européen. Les normes sont justifiées par la recherche de l’idéal d’égalité dans la relation de travail, de respect de la vie privée, de bonne santé au travail, en bref pour une meilleure qualité de vie au travail, mais aussi en dehors du travail. L’information est due tantôt directement, dans la relation individuelle entre l’employeur et le salarié, tantôt indirectement, dans les relations collectives du travail par l’intermédiaire des représentants du personnel. La promotion de la transparence dans la relation de travail est ici présentée de manière chronologique, de la phase du recrutement (I), en passant par celle de l’exécution de la relation de travail (II), jusqu’à la rupture du contrat de travail (III).
I Transparence et recrutement
Concernant la phase du recrutement, les méthodes de recrutement des salariés ont été encadrées dans le code du travail[9] dans le sens d’une limitation du droit à la transparence de l’employeur. Il s’agit aujourd’hui de renforcer l’obligation d’information sur l’offre d’emploi proposée. Si le droit à la transparence de l’employeur lors de l’entretien d’embauche est limité (A), son obligation de transparence sur l’offre de l’emploi au bénéfice du candidat à l’emploi doit être renforcée (B).
A. Un droit à la transparence minimisé
Les dispositions du code du travail ne permettent pas à l’employeur de rechercher toute information sur le candidat à l’emploi. L’employeur est légalement limité dans l’étendue des questions qu’il peut poser lors de l’entretien d’embauche. « Les informations demandées, sous quelque forme que ce soit, au candidat à un emploi ne peuvent avoir comme finalité que d’apprécier sa capacité à occuper l’emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles. Ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l’emploi proposé ou avec l’évaluation des aptitudes professionnelles. Le candidat est tenu de répondre de bonne foi à ces demandes d’informations »[10]. Il n’y a donc pas de droit à la transparence au bénéfice de l’employeur, les informations sollicitées étant limitées au strict nécessaire, dans la limite du droit au respect de la vie privée du salarié, du droit à la non-discrimination, du principe d’interdiction des harcèlements… Il en va de la loyauté de l’employeur dans la procédure de recrutement. Le salarié dispose donc du droit de ne pas répondre aux questions posées sans lien direct et nécessaire avec la potentielle relation de travail à venir.
Le code du travail prescrit donc le principe de minimisation qui doit conduire le recruteur à ne collecter que les données présentant « un lien direct et nécessaire avec l’emploi proposé ou avec l’évaluation des aptitudes professionnelles ». Par exemple, une personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement en raison de son âge ou encore de sa situation de famille. Le recruteur ne peut demander à un candidat à un emploi son numéro de sécurité sociale, son lieu de naissance, des informations sur ses parents, sa famille, ses opinions politiques, son appartenance syndicale, s’il souhaite avoir des enfants, ses mensurations, son poids… La CNIL a été saisie récemment d’une plainte à l’encontre d’une société qui demandait aux candidats de fournir obligatoirement leur lieu de naissance, leur nationalité, leur situation de famille (s’ils étaient en couple, les nom et prénom de leur conjoint, leur date et lieu de naissance, leur profession, le nombre d’enfants et leur âge) ainsi que l’ensemble des salaires perçus dans les entreprises précédentes. La CNIL a rappelé à la société que, dans le cadre d’un recrutement, n’est pas justifiée la collecte auprès d’un candidat à un emploi des informations relatives aux membres de sa famille ; de son lieu de naissance ; d’informations relatives à sa nationalité ; du montant des salaires perçus par le passé d’un candidat, à l’initiative d’un recruteur. Le candidat peut cependant, de sa propre initiative, fournir tout élément utile à la justification de ses prétentions salariales. La société s’étant conformée à cette mise en demeure, la présidente de la CNIL a clôturé la procédure de mise en demeure à son encontre[11].
Ce n’est qu’au stade de l’embauche, c’est-à-dire une fois qu’une candidature a été définitivement retenue, que l’employeur pourra collecter des données supplémentaires ; en effet, seules les données des candidats retenus sont nécessaires pour l’accomplissement des formalités obligatoires de l’employeur (déclaration préalable à l’embauche, déclaration sociale nominative, etc.).
Si l’employeur est limité dans son droit à l’information auprès du candidat à l’emploi, son obligation de transparence au bénéfice du candidat est en cours de renforcement.
B. Une obligation de transparence à renforcer
À la réglementation des méthodes de recrutement, s’ajoute désormais une réglementation des informations à donner sur les éléments essentiels de l’offre d’emploi, ces normes visent à favoriser l’égalité dans l’accès à l’emploi.
Le code du travail réglemente les méthodes de recrutement en ces termes : « Le candidat à un emploi est expressément informé, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d’aide au recrutement utilisées à son égard. Les résultats obtenus sont confidentiels. Les méthodes et techniques d’aide au recrutement ou d’évaluation des candidats à un emploi doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie »[12]. Il s’agit d’exiger la mise en œuvre de méthodes pertinentes portées à l’information du candidat, qui ne peut toutefois en connaître les résultats. L’opacité est donc de mise. Jusqu’à présent, le flou concernait même les éléments de l’objet de la candidature, à savoir les contours de l’emploi proposé. Aucune transparence n’était exigée de l’employeur concernant les spécificités du poste à pourvoir, comme la qualification, les compétences, les missions, les conditions de travail ou même le montant du salaire. C’est ainsi que certains employeurs procèdent à des entretiens d’embauche sans dévoiler le montant de la rémunération proposée… Par opposition, depuis sa naissance, le droit de la consommation exige que les qualités essentielles d’un produit ou d’une prestation de service, ainsi que son prix, soient affichées et portées à la connaissance du consommateur avant toute contractualisation, dans le cadre des informations précontractuelles. L’amélioration de la transparence de la part de l’employeur est souhaitable à ce stade, comme l’exige progressivement le droit européen.
Dans un premier temps, la directive nº2019/1152 du 20 juin 2019 relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles dans l’Union européenne[13] est venue étendre la liste des informations à transmettre lors de l’embauche, sans toutefois exiger cette transmission en phase préalable de recrutement. Ainsi, selon ce texte, l’employeur doit transmettre au travailleur un document contenant les éléments essentiels suivants : « identité des parties, lieu de travail, titre, grade, qualité ou catégorie d’emploi, date du début du contrat, durée du congé payé, durée des délais de préavis, rémunération, mention des conventions collectives et accords collectifs ». Il est donc prévu une information obligatoire minimale renforcée dans son contenu, mais qui n’est due, dans le temps, qu’une fois l’embauche faite. En effet, ces informations doivent être transmises, à compter du premier jour de travail ou dans le mois qui suit, selon l’information concernée[14]. La transparence n’est donc pas préventive. Cette directive a été transposée en France par la loi nº2023-171 du 9 mars 2023 pour faire bénéficier les travailleurs « d’emplois comportant des conditions de travail plus sûres et plus prévisibles et de mieux informer les travailleurs des éléments essentiels de leur relation de travail[15] et le décret nº2023-1004 du 30 octobre 2023[16].
Dans un second temps, une directive européenne du 10 mai 2023 visant à renforcer l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes pour un même travail ou un travail de même valeur par la transparence des rémunérations et les mécanismes d’application du droit[17] prône une transparence préventive pour enrailler les inégalités. Cette directive doit être transposée en droit français avant le 7 juin 2026. Selon son article 19 : « Un élément important de l’élimination de la discrimination en matière de rémunération est la transparence des rémunérations avant l’embauche. La présente directive devrait donc également s’appliquer aux candidats à un emploi ». Il s’agit donc d’obliger l’employeur à communiquer l’élément essentiel que constitue la rémunération, dès l’offre d’emploi, pour promouvoir l’égalité. La remise en cause du secret des rémunérations doit permettre de lutter dès la phase précontractuelle contre l’inégalité salariale genrée, mais aussi assurer davantage de transparence en faveur de l’égalité entre les salariés déjà en poste dans l’entreprise et les candidats à l’emploi. Selon le journal Le Monde, un « énorme chantier s’ouvre pour les entreprises »[18]. Reste à savoir si la pratique des fourchettes de rémunération utilisée par les employeurs restera d’actualité. La transparence, facteur de promotion de l’égalité à l’accès à l’emploi, émaille le pouvoir de direction de l’employeur.
À ce droit à l’information précontractuel, en faveur d’une transparence accrue, s’ajoutent des normes de transparence en phase d’exécution de la relation de travail
II Transparence et exécution de la relation de travail
La société du numérique du XXIe siècle facilite l’échange des informations en cours d’exécution du contrat de travail et notamment une meilleure connaissance (et surveillance) des conditions de réalisation des tâches par le salarié. Cette transparence doit être tantôt cantonnée, tantôt améliorée pour une meilleure qualité de vie et des conditions de travail. Deux points seront évoqués pour illustrer ce mouvement antagoniste, à savoir l’utilisation des outils du numérique (A) et la protection de la santé et de la sécurité des salariés (B).
A. Transparence et technologies
Dans les relations de travail, la question de la transparence induite par les technologies est d’actualité. Nombreux sont les salariés qui utilisent des outils du numérique, ordinateurs, téléphones, tablettes… ou sont soumis à des dispositifs de surveillance comme la vidéosurveillance et les caméras, les monitorings des e-mails et navigations sur internet, les logiciels de surveillance de productivité ou à des systèmes de géolocalisation, GPS ou encore smartphone comme outils de tracking… Ces derniers permettent l’enregistrement des activités effectuées par les salariés pendant et parfois en dehors du temps de travail ; ils peuvent donner accès à des informations relevant de la vie privée du salarié[19]. La transparence induite par les technologies utilisées dans l’entreprise oblige cette dernière à définir des normes claires concernant les conditions dans lesquelles l’employeur et le salarié peuvent utiliser les systèmes utilisés. Toute la difficulté est de fixer des règles suffisamment protectrices du bon fonctionnement de l’entreprise, tout en s’assurant que les règles de contrôle ou de surveillance mises en œuvre sont respectueuses des droits de chaque salarié, ce dont il doit être préalablement informé. La transparence induite est encadrée pour que les informations recueillies ne soient assignées qu’à certaines finalités.
Ainsi, l’utilisation des données personnelles du salarié est réglementée. La gestion des dossiers RH par exemple est généralement assurée au moyen de progiciels types[20]. Pendant la relation de travail, sont ainsi mis en œuvre des traitements des données personnelles qui sont soumis aux règles spécifiques définies en droit interne par la loi n°78-17 du 6 janvier 1978, dite « informatique et libertés », et aux dispositions du Règlement européen général sur la protection des données (RGPD) entrée en vigueur en 2018[21]. Conformément à l’article 5 du RGPD, les données doivent être traitées de manière licite, loyale et transparente, tout en étant collectées à des fins spécifiques, explicites et légitimes. Sur le fondement du RGPD, le salarié a un droit à la transparence sur les données personnelles détenues qui le concernent. L’article 15 du RGPD garantit à toute personne dont les données personnelles sont traitées par un organisme d’obtenir l’accès à ces données[22]. Cette obligation de transparence permet à la personne concernée de disposer d’une plus grande visibilité sur les traitements de ses données personnelles et facilite l’exercice des droits de rectification, d’effacement ou d’opposition. L’obligation de transparence sur les données collectées, mise à la charge de l’employeur, vient donc limiter les effets de la transparence induite par les technologies.
Si les technologies permettent une transparence qui doit être cantonnée, davantage de transparence est au contraire requise pour améliorer les conditions de travail et la qualité de vie au travail et protéger la santé et la sécurité au travail.
B. Transparence et santé et sécurité au travail
Le droit de la santé et de la sécurité au travail exige de l’employeur le respect de nombreuses obligations d’informations. Le droit du travail est né de la nécessité de protéger les salariés contre les risques pour leur santé au travail. C’est ainsi qu’a été mis en place un système d’indemnisation forfaitaire et égalitaire en cas d’accident du travail puis de maladie professionnelle. Depuis 1991, le chef d’établissement est débiteur d’une obligation générale de sécurité. Le droit de la santé au travail, initialement curatif et réglementant la prise en charge des atteintes survenues, est devenu préventif. Or, la prévention suppose de la communication, de l’information et de la transparence dans l’entreprise. C’est ainsi que l’employeur doit identifier les risques dans un document d’évaluation des risques professionnels (DUERP), pour mettre en place un plan d’action, délivrer toutes les informations nécessaires au comité social et économique (CSE) par le biais de rapports et informer les salariés pour répondre à l’objectif de prévention. La portée de la transparence est non seulement de portée individuelle, mais aussi collective. L’employeur transmet au CSE, sous des formes appropriées et périodiquement actualisées, des informations relatives à la santé, à la sécurité et aux conditions de travail, listées dans différentes parties du code du travail. Par exemple, l’employeur adresse des informations au CSE sur les agents chimiques dangereux ainsi que sur les précautions et mesures d’hygiène à respecter[23]… Les élus du CSE ont accès aux livres, registres et documents non nominatifs obligatoires : attestations, consignes, résultats et rapports de vérifications obligatoires, document unique d’évaluation des risques, registre de sécurité, dossiers de maintenance du lieu de travail, carnet de maintenance des équipements[24]…
La transparence est donc un facteur de diagnostic des risques en vue de leur prévention, ce qui suppose des échanges avec de nombreux acteurs. Tout employeur du secteur privé doit, quelle que soit la taille de son entreprise, organiser et financer le suivi individuel de l’état de santé de ses salariés, soit en mettant en place son propre service, dit service de prévention et de santé au travail autonome (SPSTA), dans les grandes entreprises, soit, dans les petites et moyennes entreprises, en adhérant à un service de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI). La mission principale des SPST est d’éviter toute altération de la santé des travailleurs. De nombreux acteurs extérieurs à l’entreprise jouent également un rôle dans la prévention des risques professionnels. Ils ont pour mission de sensibiliser employeurs et travailleurs aux risques professionnels, d’accompagner les employeurs dans la mise en place de mesures de prévention, mais également de contrôler la bonne mise en œuvre de ces mesures, comme les directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS), les organismes de sécurité sociale. La communication et la transmission d’informations réciproques prônent une transparence en matière d’atteinte à la santé au travail dans un but d’éradication des accidents, avec un objectif de zéro accident mortel au niveau de l’Union européenne.
Si le développement de la transparence concerne l’exécution de la relation de travail, il concerne aussi la phase de rupture du contrat de travail.
III Transparence et rupture du contrat de travail
Pour préserver au mieux les droits et intérêts de chaque partie au moment de la rupture du contrat de travail, il est essentiel que le processus soit clair, transparent et équitable. La réglementation des modes de rupture du contrat de travail exige plus ou moins de transparence, tout particulièrement dans le cadre du licenciement puisque l’employeur impose la rupture au salarié (A) et dans une moindre mesure, dans les autres cas de rupture (B).
A. Transparence et licenciement
Concernant le licenciement, l’opacité fait idéalement place à la transparence progressivement, de la convocation à l’entretien préalable, jusqu’à l’envoi de la lettre de licenciement. La décision de licenciement doit être motivée in fine par une cause réelle et sérieuse, qu’il s’agisse d’un licenciement pour motif personnel[25] ou d’un licenciement pour motif économique[26]. Il s’agirait de rééquilibrer, par cette information, la position de soumission du salarié à la décision unilatérale de l’employeur, en lui permettant de contester cette décision.
Pour l’heure, dans un objectif affiché de transparence accrue dans l’intérêt du salarié, des droits supplémentaires concernant le contenu de la lettre de licenciement ont été octroyés à l’employeur et au salarié en 2017[27]. D’une part, des modèles de lettres ont été publiés par décret dans un but de « normalisation » de la procédure ou d’égalisation des procédures par l’emploi d’un formulaire type par l’employeur s’il le souhaite, ce qui constitue d’ailleurs in fine un facteur de sécurisation en faveur de l’employeur. D’autre part, un droit de demander des précisions sur les motifs du licenciement après la notification de la lettre de licenciement a été consacré grâce à une refonte de l’article L. 1235-2 du code du travail. Désormais, « les motifs énoncés dans la lettre de licenciement (…) peuvent, après la notification de celle-ci, être précisés par l’employeur soit à son initiative, soit à la demande du salarié, dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État. La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l’employeur, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs de licenciement »[28]. L’obligation d’information sur la motivation est certes renforcée, mais lors de la notification du licenciement, l’employeur n’est aucunement obligé d’informer le salarié de son droit à la demande de précisions des motifs du licenciement, ni de ses conséquences. En outre, avant la réforme, l’absence de motifs précis rendait le licenciement sans cause réelle et sérieuse, or, depuis la réforme, le salarié qui n’a pas effectué de demande de précision ne peut plus se prévaloir de ce fondement pour justifier la privation de cause réelle et sérieuse à son licenciement (la reconnaissance d’un licenciement injustifié reste toutefois possible pour d’autres raisons). Il est donc indispensable que le salarié demande la précision des motifs pour préserver son droit de contester la cause réelle et sérieuse du licenciement sur l’insuffisance des motifs de la lettre de licenciement et éventuellement une indemnité fixée en fonction du barème obligatoire de l’article L. 1235-5 du code du travail.
Dans une démarche de prévention des litiges, il faut s’interroger sur l’opportunité d’une transparence préalable à la décision de licenciement sur les causes du licenciement éventuel, dès la lettre de convocation à l’entretien préalable, ce qui permettrait, en amont de la décision, au salarié de préparer son argumentation pour cet entretien. L’exigence de transparence moins étendue dans le cadre de la rupture conventionnelle ou de la démission est probablement justifiée par une initiative de la rupture à laquelle le salarié participe.
B. Transparence et autres modes de rupture du contrat de travail
La démission du salarié et la rupture conventionnelle ne nécessitent pas un exposé du motif de la rupture dans les documents de rupture. Par définition, la rupture résulte dans le premier cas du libre choix du salarié, et dans le second cas, de manière théorique, du choix des deux parties à la fois. Le salarié étant partie prenante à la décision de rupture, l’exigence de transparence est moindre. Toutefois dans les deux cas, des obligations d’informations sur la procédure à suivre et les conséquences de la rupture existent.
La démission est un acte volontaire du salarié qui souhaite mettre fin à son contrat de travail. La transparence dans ce cas implique d’une part la remise d’une lettre de démission écrite et datée, exprimant clairement la volonté du salarié de rompre son contrat, d’autre part, l’information du salarié sur les conséquences de sa décision, notamment en matière d’indemnités et de droit au chômage et enfin le respect des règles relatives au préavis et aux formalités administratives dues par l’employeur au bénéfice du salarié.
Quant à la rupture conventionnelle, accord amiable entre l’employeur et le salarié pour mettre fin au contrat de travail, cette procédure exige davantage de transparence. Elle nécessite d’une part, une négociation entre les parties pour déterminer les conditions de la rupture (indemnités, date d’effet, etc.), d’autre part l’établissement d’une convention écrite précisant les modalités de la rupture et garantissant le libre consentement des parties et enfin l’homologation de la convention par l’autorité administrative compétente (DREETS), qui vérifie le respect des droits du salarié. La convention doit donc être transparente pour les parties au contrat rompu et à l’égard de l’administration.
La transparence dans la relation de travail est le résultat de mise en place de normes qui mettent à la charge des parties différentes obligations, dans un but de rééquilibrage des pouvoirs. S’il n’y a pas pour l’heure de régime juridique de la transparence, de théorie générale de la transparence en droit du travail[29], la multiplication des exigences de transparence est peut-être le signe annonciateur de la reconnaissance future d’un droit de la transparence au travail et peut-être d’un droit fondamental à la transparence[30].
[1] J. CARBONNIER, « Propos introductifs », in numéro spécial « La transparence », Revue de jurisprudence commerciale nº 11, 1993, p. 10.
[2] Par le philosophe J. Bentham, philosophe anglais (1748-1832).
[3] CADA, Rapport d’activité 2022-2023, http://www.cada.fr/le-rapport-dactivite-est-en-ligne. Selon son Président : « Pour lever les réticences des administrations et convaincre que la transparence est un moyen de gagner la confiance des citoyens, à rebours du secret qui favorise la suspicion, la CADA doit poursuivre son travail de pédagogie et d’accompagnement des administrations, notamment en développant le réseau des personnes responsables de l’accès aux documents administratifs (PRADA) ».
[4] Ces exemples sont cités par M. ZEIMET, « La transparence en droit du travail », thèse en cours depuis 2017, Univ. Orléans.
[5] J.-P. VILLENEUVE, La transparence à l’épreuve de l’expérience : rôle, impact et enjeux, éd. IGDPE, 2023 economie.gouv.fr.
[6] Le consommateur est d’ailleurs lui-même devenu un acteur de la protection des droits des travailleurs. V. M.DUMAS (professeur agrégé à l’Université de Laval, Canada), « Le consommateur, acteur de la protection des droits des travailleurs », Conférence citoyenne, Bordeaux, 14 novembre 2023 : « Un paradoxe marque le statut du consommateur moderne. Si l’on peut percevoir le consommateur comme un sujet requérant la protection juridique, il n’est pas qu’une victime potentielle de pratique abusive. Il est aussi doté d’un pouvoir régulateur. Dans un monde globalisé, il peut devenir un acteur essentiel pour la protection des droits des travailleurs ».
[7] J.-F. KERLEO, La transparence en droit. Recherche sur la formation d’une culture juridique, Paris, Mare et Martin, coll. Bibl. des thèses, 2016 ; « Comprendre l’État sous le regard de la transparence », Droit et société 2019/2, nº 102, p. 379-396.
[8] M. ZEIMET, « Transparence et discours en droit du travail », in Dossier « La transparence : objet social, discursif et médiatique », OpenEdition Journals, Sociologie, 2020.
[9] C. trav., art. L. 1221-6 et s.
[10] C. trav., art. L. 1221-6.
[11] Communiqué CNIL du 25 avril 2024.
[12] C. trav., art. L. 1221-8.
[13] Directive nº2019/1152 du 20 juin 2019 relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles dans l’Union européenne, JOUE L 186 du 11 juill. 2019.
[14] Lisa Poinsot, « [Brèves] Embauche du salarié : ce qui change au 1er août 2022 », Le Quotidien, juillet 2022. Les délais de transmission des informations sont :
- au plus tard dans les sept jours calendaires à compter du premier jour de travail pour les informations essentielles (identité des parties, lieu de travail, titre, grade, qualité ou catégorie d’emploi, date du début du contrat, rémunération, durée du travail, contrat de travail temporaire, période d’essai) ;
- au plus tard dans le premier mois à compter du premier jour effectif de travail pour les informations non essentielles. Support de transmission de l’information : information écrite individuelle, sous un ou plusieurs documents, remise sur papier ou sous forme électronique.
[15] Art. 19 et 20, loi nº2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture, JORF nº0059 du 10 mars 2023.
[16] Décr. nº2023-1004 du 30 oct. 2023 portant transposition de la directive (UE) 2019/1152 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles dans l’Union européenne, JORF nº0253 du 31 oct. 2023.
[17] Directive (UE) 2023/970 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 visant à renforcer l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes pour un même travail ou un travail de même valeur par la transparence des rémunérations et les mécanismes d’application du droit. À propos de cette directive, selon le Journal Le Monde, « Les femmes gagnent 13 % de moins par heure que les hommes pour le même travail en moyenne dans l’UE, selon des statistiques de la Commission pour 2020. Cet écart n’est que de 0,7 % au Luxembourg, mais il atteint 15,8 % en France, 18,3 % en Allemagne, et monte jusqu’à 22,3 % en Lettonie » (Le Monde, L’union européenne adopte de nouvelles règles de transparence pour l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, 30 mars 2023).
[18] Le Monde, « Transparence des rémunérations : un énorme chantier s’ouvre pour les entreprises », 17 avril 2024.
[19] N. Le BOUARD, « L’impact des technologies de surveillance sur les droits des salariés », Village de la justice 24 aout 2023.
[20] G. DEGENS-PASANAU, « L’environnement de travail à l’ère du numérique », fiche pratique [en ligne], Lexis 360°, septembre 2020, nº 4451, 25 p., url : https://www-lexis360intelligence-fr.
[21] Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données), JOUE L 119 du 4 mai 2016.
[22] Art. 15, RGPD : « La personne concernée a le droit d’obtenir du responsable du traitement la confirmation que des données à caractère personnel la concernant sont ou ne sont pas traitées et, lorsqu’elles le sont, l’accès auxdites données à caractère personnel ainsi que les informations suivantes : (…). »
[23] C. trav., art. R. 4412-38.
[24] C. trav., art. R. 2312-1, R. 2312-3.
[25] C. trav., art. L. 1232-1, L. 1232-6.
[26] C. trav., art. L. 1233-2, L. 1233-15 et L. 1233-16
[27] Ord. n°2017-1718 du 20 décembre 2017 visant à compléter et mettre en cohérence les dispositions prises en application de la loi nº 017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, JORF 21 déc. 2017.
[28] C. trav., R. 1232-13 : dans les 15 jours qui suivent la notification du licenciement, le motif énoncé dans la lettre peut être précisé à l’initiative de l’employeur ou sur demande du salarié. Le salarié doit faire sa demande par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. L’employeur dispose alors d’un délai de 15 jours après la réception de la demande du salarié pour apporter des précisions s’il le souhaite. Il communique ces précisions au salarié par LRAR ou remise contre récépissé.
[29] J. CARBONNIER, « Propos introductifs », in numéro spécial « La transparence », Revue de jurisprudence commerciale nº 11, 1993, p. 10.
[30] V.BARBE, O. LEVANNIER-GOUËL, S. MAUCLAIR, La transparence, un droit fondamental ?, éd. L’Epitoge, collection L’unité du droit, volume XXV, 2020, 218 p.
Ont participé à ce numéro
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