L'Actualité juridique Mars 2023
Dernière mise à jour :
L'édito
QUELLES RÉSERVES POUR NOS RETRAITES ?
À l’heure où les porteurs de la réforme des retraites prennent appui sur la question de leur financement pour durcir le mode de calcul des pensions, un point sur les réserves de l’assurance vieillesse est nécessaire.
Remontons le temps et plaçons-nous au début des années 2000.
Malgré une première réforme qui, en 1993, avait porté la durée de cotisation à 40 annuités pour la retraite à taux plein dès 60 ans, la soutenabilité financière du système de retraites restait préoccupante. Cette situation conduisit le législateur, sous l’impulsion du Gouvernement Jospin, à instaurer en 2001 un fonds destiné à thésauriser pour l’avenir : le fonds de réserve des retraites (F2R). Créer un fonds pour procurer des recettes à la sécurité sociale n’était pas à proprement parler nouveau. Cela avait été fait en 1996 pour l’amortissement de la dette sociale –même si la structure était nommée caisse–, en 1999, dans le but de financer la CMU complémentaire et, en 2000, d’indemniser les victimes de l’amiante. En outre, un fonds avait déjà été institué en 1993 pour les retraites, le Fonds de solidarité vieillesse. Mais il était réservé au seul financement des allocations visant à garantir un minimum de ressources aux retraités impécunieux et n’était pas fait pour répondre aux problèmes financiers à venir de l’assurance vieillesse, à la différence du F2R.
Le F2R a en effet été instauré pour rassembler une cagnotte. Il devait investir au nom de la collectivité les sommes confiées par les pouvoirs publics pour participer au financement des retraites et optimiser leur rendement. Mais, alors que les réserves ainsi accumulées devaient permettre d’anticiper les effets du changement démographique et n’être employées qu’entre 2020 et 2040 pour équilibrer les dépenses de retraite du régime général et des régimes alignés, elles sont ponctionnées dès 2010. Elles sont utilisées pour alimenter la Caisse d’amortissement de la dette sociale et rembourser à la fois les dettes de la Caisse nationale d’assurance vieillesse du régime général (salariés du privé), et celles du Fonds de solidarité vieillesse, constamment déficitaire depuis 2003 à l’exception de 2008. En raison de son pillage, mais aussi de sa faible performance et de ses coûts de gestion élevés, le F2R qui aurait dû réunir un trésor d’environ 150 Mds d’euros se limite à un actif de 26 Mds fin 2021 selon le rapport du Conseil d’Orientation des retraites de septembre dernier. Des réserves somme toute limitées rapportées aux besoins à venir de l’assurance vieillesse du régime général, et qui ne doivent pas être confondues avec l’ensemble des réserves existant par ailleurs dans les différents régimes obligatoires de retraite, régimes de base et régimes complémentaires. Ce sont en effet ces derniers qui ont constitué les réserves les plus importantes –110,1 Mds € fin 2020 selon le rapport 2022 de la Cour des comptes–. Mais ces réserves ne peuvent pas être utilisées pour financer les régimes de base, le mécanisme de compensation ne s’appliquant pas entre régimes de retraites complémentaires et régimes de base.
Maryse Badel
Les commentaires
L'évolution de la prise en compte de la pénibilité au travail dans le projet de réforme des retraites actuellement en débat
Avec le report de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans inscrit dans la nouvelle réforme, la question de la pénibilité se pose, de nouveau, de façon prégnante. Les débats en première lecture à l’Assemblée nationale sur le Projet de loi de finances rectificative pour la sécurité sociale (LFRSS) n’ont pas permis de faire discuter du texte rédigé par l’exécutif sur ce sujet. Celui-ci formule, néanmoins, dans son article 9, un certain nombre de propositions relatives à la prévention et la réparation de l’usure professionnelle. Autrement dit, l’objectif est d’assurer une retraite en bonne santé aux travailleurs exerçant des métiers qui les usent précocement. Ces propositions sont beaucoup moins ambitieuses que celle avancée par Pierre Dharréville, député communiste des Bouches-du-Rhône, qui suggère d’ouvrir un droit à un départ anticipé à la retraite d’un an contre cinq ans d’activité dans un métier reconnu comme « pénible », à partir de 55 ans contre 60 aujourd’hui. Le panorama des mesures envisagées par le Gouvernement, proposé ci-dessous, permettra de mieux comprendre les enjeux sous-jacents et les propositions qui cristallisent certaines tensions.
Pour rappel, peu de temps après son arrivée à l’Élysée, Emmanuel Macron a souhaité répondre aux inquiétudes du patronat en retoquant le « compte pénibilité » mis en place en 2015 par son prédécesseur François Hollande. Au motif que le dispositif pénibilité créait une « usine à gaz » pour les employeurs, le compte professionnel de prévention (C2P), instauré par l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, est venu remplacer le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P). La finalité restait la même : comptabiliser, sous forme de points, les droits que chaque travailleur, exposé à des facteurs de risques, avait acquis du fait de cette exposition. Cependant, quatre facteurs sur dix avaient été supprimés : les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et l’exposition aux agents chimiques dangereux, en raison de la trop grande difficulté à assurer une traçabilité de l’exposition à ces facteurs. De même, la cotisation patronale dédiée au financement du dispositif avait été supprimée.
Dans un rapport publié en décembre 2022, la Cour des comptes estimait que le nombre très réduit d’utilisateurs du C2P pouvait « s’expliquer par la montée en charge forcément progressive ». Elle soulignait cependant « un dispositif voué à n’exercer qu’un effet réduit, sans impact sur la prévention » et qui « n’est pas à la hauteur des objectifs qui lui étaient assignés, dans un contexte où l’âge de départ en retraite recule par ailleurs » .
Dans son rapport, la Cour des comptes avait aussi relevé des écarts importants entre le nombre de salariés déclarés exposés aux facteurs de risques dans le cadre du C2P et ceux potentiellement concernés selon la Dares. Tous risques confondus, seul un quart de salariés potentiellement exposés disposent d’un compte professionnel de prévention, cette proportion variant entre 11 % pour le bruit et 53 % pour le travail de nuit. La Cour des comptes estime donc que « l’ampleur des écarts, au moins en ce qui concerne certains critères, montre une appropriation très en deçà des objectifs du dispositif par les employeurs concernés, malgré l’absence de coût pour ces derniers, rendant nécessaire la mise en œuvre d’actions de sensibilisation et de contrôle ».
Le gouvernement a suivi les préconisations de la Cour des comptes en insérant dans le projet de loi une disposition conférant à la Caisse nationale d’assurance maladie le soin de communiquer sur le C2P auprès des employeurs concernés et de ses bénéficiaires.
Pour répondre aux autres critiques, le gouvernement propose, non pas de substantielles transformations, mais des mesures pour améliorer la prise en compte de l’usure professionnelle, que ce soit par l’intermédiaire du recours au C2P (I) mais aussi à travers d’une reconnaissance de l’exposition aux facteurs exclus du compte depuis octobre 2017 (II).
I. L’assouplissement des règles relatives au C2P
Le projet de loi comprend plusieurs modifications des règles relatives au compte professionnel de prévention (C2P) afin d’accroître le nombre de ses bénéficiaires ainsi que les droits qui en résultent : l’abaissement de certains seuils d’exposition (A), le déplafonnement du nombre de points acquis dans le C2P (B), la modification des modalités d’acquisition des points en cas d’expositions multiples (C), la revalorisation de la valeur du point et la création d’une quatrième utilisation des points acquis (D). On comprend que les enjeux ne sont pas négligeables lorsqu’on lit le dernier rapport annuel de l’Assurance-maladie « risques professionnels ». Celui-ci fait état de 643 243 salariés déclarés en 2021 au titre du C2P par leur employeur, dont 581 574 (soit 90%) ont des points crédités sur ce compte. Il révèle que plus de la moitié des salariés déclarés exposés en 2021 avaient entre 35 ans et 54 ans. Malgré tout, le dispositif fondé sur le compte reste perfectible (E).
A. L’abaissement de certains seuils d’exposition
Tous les facteurs pris en compte dans le C2P sont assortis de seuils. Ce sont des seuils annuels d’exposition chiffrés associant une action ou une situation à une intensité et à une durée minimale pour chaque facteur. Le gouvernement prévoit, par voie réglementaire, la modification des seuils d’exposition à deux facteurs de risques professionnels. Ainsi, le seuil pour être considéré comme exposé au travail de nuit (au minimum une heure de travail entre minuit et cinq heures) serait abaissé de cent vingt nuits à cent nuits. Celui relatif au travail en équipes successives alternantes passerait de cinquante à trente nuits. Ces mesures devraient, selon le gouvernement, faire entrer 55 000 nouveaux travailleurs dans le C2P. Il s’agit donc d’un timide élargissement du compte à de nouveaux bénéficiaires.
B. Le déplafonnement des points du C2P
Actuellement, un travailleur titulaire d’un C2P ne peut pas dépasser un nombre maximal de points au cours de sa carrière, même s’il continue à être exposé à des facteurs de risques. Ce plafond est fixé à cent points. Le projet de loi supprime ce plafond. Cette mesure a été jugée « à double tranchant » par Annie Jolivet, économiste au Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET)-CNAM qui estime que « cela peut envoyer le message que la durée d’exposition n’est pas grave puisqu’on va gagner des points. Mais on ne cumule pas sans conséquence sur la santé ».
C. Une meilleure prise en compte de la poly exposition
Selon la réglementation en vigueur, un salarié voit son C2P crédité de quatre points par année civile en cas d’exposition à un seul facteur de risques professionnels, et huit points par année civile en cas d’exposition à deux facteurs de risques ou plus. Alors qu’à l’heure actuelle, le nombre de points acquis chaque année par un travailleur n’est donc pas proportionnel au nombre de facteurs de risques auxquels il est exposé, le projet de loi envisage de réparer cette iniquité. Pour les salariés poly-exposés, les points seraient acquis en fonction du nombre de facteurs de risques professionnels auxquels le salarié est exposé. Chaque exposition à un risque supplémentaire devrait permettre au salarié d’acquérir quatre points par an, autrement dit, douze points par année d’exposition pour trois facteurs, seize points pour quatre facteurs, etc.
Dans le précédent projet de réforme, lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, le dispositif envisagé était moins avantageux. Une augmentation du nombre de points cumulés par les salariés poly-exposés avait bien été envisagée, mais avec l’octroi de seulement dix points pour une exposition à deux facteurs et de quinze pour une exposition à trois facteurs ou plus.
D. L’utilisation des points acquis dans le cadre du C2P
Actuellement, le salarié peut utiliser les points inscrits sur son compte :
- pour financer une formation permettant d’accéder à un emploi non exposé ou moins exposé (un point ouvre droit à un montant de 375 euros de prise en charge de tout ou partie des frais d’une action de formation);
- pour une réduction du temps de travail avec maintien du salaire (dix points permettent de financer une réduction du temps de travail égale à un mi-temps pendant trois mois);
- pour un départ anticipé à la retraite, possibilité ouverte seulement aux salariés d’au moins 55 ans (dix points ouvrent droit à un trimestre de majoration de durée d’assurance vieillesse, le salarié étant limité à 8 trimestres, ce qui correspond à un départ anticipé de 2 ans maximum).
Depuis sa création, près de 1,9 million de salariés ont acquis des points au titre du C2P mais seules 13 600 demandes d’utilisation de points ont été formulées. Dans la majorité des cas (environ 70%), les demandeurs utilisaient leurs points pour partir plus tôt à la retraite, 2 600 demandes concernaient le passage à temps partiel et 1 500 demandes concernaient le financement d’une action de formation professionnelle, soit une faible utilisation du compte.
Dans ce contexte, le projet de loi prévoit d’améliorer la valeur du point, ce qui permettrait d’accroître les droits à formation ou au temps partiel. Selon l’exposé des motifs, chaque point serait valorisé à hauteur de 500 €.
Cette revalorisation s’appliquera aux points qui sont convertis pour financer une formation destinée à favoriser l’accès à un emploi non ou moins exposé aux facteurs de risques professionnels. Il faut indiquer qu’il ne s’agit pas d’un dispositif de reclassement tel qu’il existe en matière d’inaptitude médicale par exemple, le salarié qui suit une formation en utilisant les points acquis au titre de son exposition à des facteurs de pénibilité n’a aucune garantie que la formation débouche sur l’occupation d’un emploi moins ou pas pénible dans l’entreprise ou chez un autre employeur.
Concernant le passage à temps partiel, le salarié pourra, en utilisant dix points, réduire son temps de travail de moitié avec un salaire identique à un temps plein durant quatre mois (au lieu de trois mois à ce jour).
Par ailleurs, une quatrième utilisation des points acquis dans le cadre du C2P devrait permettre aux salariés, sous certaines conditions, de financer un projet de reconversion professionnelle.
Le projet de loi crée, en effet, un projet de reconversion professionnelle pour les titulaires du C2P leur permettant d’utiliser leurs points pour financer une reconversion professionnelle dans un emploi non exposé aux différents facteurs de risques professionnels. Des actions de formation, un bilan de compétences, des actions permettant de faire valider les acquis de l’expérience (VAE) pourront ainsi être financées. Ce financement se traduira par un abondement du compte personnel de formation. Ce financement pourra également permettre d’assurer la rémunération du salarié dans le cadre de son congé de reconversion professionnelle en cas d’actions de formation suivies en tout ou partie pendant le temps de travail. Le bénéficiaire du projet de reconversion ferait l’objet d’un accompagnement par l’un des opérateurs du conseil en évolution professionnelle (CEP). Cet opérateur serait chargé d’informer, orienter et aider le salarié à formaliser son projet. Étant assuré par les opérateurs du CEP, cet accompagnement serait pris en charge financièrement par France compétences.
Selon l’étude d’impact, les dépenses supplémentaires induites par la mise en place d’une quatrième utilisation du compte professionnel de prévention afin de financer un parcours de reconversion professionnelle sont évaluées à 20 M€ d’ici 2030.
Ce projet de reconversion professionnelle appelle deux remarques. En premier lieu, soulignons de nouveau qu’aucune garantie n’est fournie au salarié qui s’engage dans cette voie. Cette possibilité offerte au salarié ne s’inscrit pas non plus véritablement dans une démarche de sécurisation des parcours professionnels.
En second lieu, lors des concertations menées par le gouvernement à l’automne 2022, l’organisation syndicale Force Ouvrière avait soutenu l’idée d’un droit à la reconversion professionnelle. Pour l’organisation syndicale, le compte de transition professionnelle devait permettre à son titulaire de suivre une formation de reconversion professionnelle tout en bénéficiant du droit de partir à la retraite de manière anticipée. La reconversion professionnelle appréhendée comme un droit n’était ainsi pas exclusive du départ anticipé à la retraite. Le gouvernement a fermé la porte à une telle éventualité dans la mesure où le salarié ayant utilisé ses points acquis dans le cadre du C2P pour financer un projet de reconversion professionnelle ne pourra recourir à un départ anticipé à la retraite qu’à la condition qu’il ait acquis de nouveaux points sur son C2P.
E. Un dispositif encore perfectible
Si certaines critiques adressées au C2P semblent avoir été entendues, comme en témoigne par exemple la meilleure prise en compte de la poly-exposition, le dispositif peut encore être amélioré.
L’actuel projet de loi écarte une possible prise en compte de la pénibilité « psychique » pour se focaliser sur la seule pénibilité physique. Or, les questions de charge mentale de travail avec l’idée d’intensité qui renvoie au contenu du travail ou de pressions psychologiques au travail restent l’un des angles morts les plus importants du dispositif.
En outre, l’opportunité d’établir des modalités d’acquisition de points différenciées, en fonction du sexe par exemple, n’a pas été discutée.
Enfin, l’exclusion d’une partie des travailleurs pose question. En effet, le C2P est l’instrument privilégié de la prise en compte de la pénibilité pour les salariés du secteur privé, mais également pour le personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé. En revanche, cet « outil » n’existe pas aujourd’hui dans la fonction publique, au sein de laquelle la pénibilité est essentiellement appréhendée au travers des catégories dites « actives », conformément à une nomenclature établie par le décret n°54-832 du 13 août 1954, soit une part très marginale des agents publics. Dans de nombreux amendements, les parlementaires soulignent que le projet de loi, qui ne propose pas d’extension du C2P, « renforce la dualité entre une approche de la pénibilité fondée sur des outils individuels dans le secteur privé et une approche centrée presque exclusivement sur des outils catégoriels dans la fonction publique ». Ils exhortent ainsi à une transposition du C2P aux agents publics, particulièrement ceux de la fonction publique territoriale.
II. Les mesures concernant les facteurs exclus du C2P
Concernant les quatre facteurs de pénibilité exclus du C2P depuis octobre 2017 (manutentions manuelles de charges, postures pénibles définies comme positions forcées des articulations, vibrations mécaniques et exposition aux agents chimiques dangereux), le gouvernement se montre inflexible : aucune réintégration dans le compte n’est envisageable malgré les demandes récurrentes des organisations syndicales de salariés.
La réforme prévoit néanmoins deux nouvelles mesures d’accompagnement pour prendre en compte les altérations de la santé qui découleraient de l’exposition à ces facteurs. La première est fondée sur la création d’un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (A) et la seconde instaure la mise en place d’un suivi médical renforcé (B).
Soulignons d’emblée que seuls trois des quatre facteurs disparus du C2P sont concernés par ces nouveaux dispositifs : des facteurs de risques dits « ergonomiques », c'est-à-dire les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles et les vibrations mécaniques. Le projet de loi est dangereusement muet sur l’exposition aux agents chimiques dangereux.
A. La création d’un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle
On notera que le terme pénibilité est, encore une fois, écarté au profit de celui d’usure professionnelle. Toutefois, l’usure professionnelle a pu être présentée comme relevant d’un processus d’altération de la santé lié au travail tout au long du parcours professionnel et dépendant du cumul d’exposition de la personne à des contraintes du travail. Cette appréhension de la notion d’usure professionnelle mériterait de s’interroger sur les enjeux de sa substitution à celle pénibilité, à moins qu’elle ne reflète que le choix d’une référence qui se retrouve fréquemment dans la littérature ergonomique.
Selon le projet de loi, ce fonds sera financé par une dotation de la branche accidents du travail et maladies professionnelles dont le montant sera fixé chaque année par arrêté. Le gouvernement a toutefois d’ores et déjà annoncé que cette dotation s’élèverait à un milliard d’euros sur la durée du quinquennat.
La mission principale du fonds consistera à cofinancer avec les employeurs des actions de sensibilisation et de prévention, des actions de formations éligibles au compte personnel de formation (CPF) au sens de l’article L. 6323-6 du Code du travail et des actions de reconversion et de prévention de la désinsertion professionnelle à destination des salariés particulièrement exposés aux facteurs de risques dits « ergonomiques ». Le fonds pourra également contribuer au financement des organismes de prévention créés par les branches professionnelles et agissant dans le cadre de conventions conclues avec la Caisse nationale d’assurance maladie. En outre, il pourra participer au financement de projets de transition professionnelle qui permettraient aux salariés de se reconvertir en vue d’occuper des emplois non exposés aux différents facteurs de risques professionnels listés par l’article L. 4161-1 du code du travail. Cette participation au financement d’un projet de transition professionnelle sera toutefois subordonnée à une double condition. Il sera ainsi nécessaire que l’action fasse l’objet d’un cofinancement par l’employeur, dans des conditions déterminées par décret, d’une part et que le salarié puisse justifier d’une durée minimale d’activité professionnelle dans un métier concerné par les facteurs de risques dits « ergonomiques », d’autre part.
Les orientations du fonds encadrant l’attribution de ses ressources seront définies par la commission des AT-MP, après avis du Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct). Elles devront se fonder sur une cartographie des métiers et des activités particulièrement exposés aux différents facteurs de risques dits « ergonomiques ».
Cette cartographie sera élaborée à partir des listes établies par accords de branche. Autrement dit, une nouvelle obligation de négocier est ainsi créée. Les branches professionnelles devront engager, dans les deux mois suivant la promulgation de la future loi portant réforme des retraites, des négociations en vue d’aboutir au recensement des métiers et des activités particulièrement exposés aux différents facteurs de risques dits « ergonomiques ». Ce rôle confié aux branches professionnelles n’est pas dénué de pertinence puisqu’elles sont déjà invitées à se doter d’un référentiel dont le but est d’aider les employeurs à déclarer l’exposition de leurs salariés aux facteurs de risques professionnels. Même si les branches ne sont plus tenues d’y intégrer les quatre facteurs supprimés du C2P, certaines font, à l’occasion de la construction du référentiel, un état des lieux global du travail réel et proposent des mesures de prévention, y compris pour les quatre facteurs de risques professionnels qui ne sont plus à déclarer dans le C2P. Le projet de loi prévoit toutefois qu’en cas d’échec des négociations au niveau de la branche, la commission des AT-MP établit la cartographie en se fondant sur les données disponibles relatives à la sinistralité et aux expositions professionnelles en se faisant assister, au besoin, par un comité d’experts dont les modalités de fonctionnement seront précisées ultérieurement par décret.
Les inconvénients de ce dispositif résident d’une part, dans les risques de discordances entre les différentes branches : certaines branches pouvant reconnaître un métier comme pénible et d’autres non et d’autre part, dans le champ restreint de ces bénéficiaires : les salariés du secteur privé.
Pourtant, le projet de loi prévoit également la création d’un fonds de prévention de l’usure professionnelle dans les établissements de santé et les établissements médico-sociaux publics pour les agents qui travaillent dans ces structures. En revanche, la « pénibilité ergonomique » dans la fonction publique territoriale et dans la fonction publique d’Etat n’était pas spécifiquement prise en compte. De nombreux députés et sénateurs ont souhaité faire bouger les lignes en déposant des amendements visant à une meilleure prise en compte de la pénibilité dans la fonction publique territoriale. Parallèlement aux débats parlementaires, la Coordination des employeurs territoriaux a proposé la création d’un fonds spécifique de prévention de l’usure professionnelle, de maintien dans l’emploi et de réduction des risques pour les agents territoriaux. À l’occasion d’une réunion organisée le 17 février 2023, cette proposition a reçu un avis favorable du ministre de la Fonction publique Stanislas Guerini et de la ministre des Collectivités territoriales Dominique Faure. Une mission va donc être confiée, prochainement, à des personnalités qualifiées pour en déterminer les contours, et formuler des propositions concrètes quant à son fonctionnement, sa dotation ou encore ses bénéficiaires, d’ici l’été.
B. La mise en place d’un suivi médical renforcé
Le projet prévoit que les salariés exerçant ou ayant exercé pendant une durée définie par voie réglementaire des métiers ou activités particulièrement exposés aux risques ergonomiques, mentionnés au 1° du 1 de l’article L. 4161-1 du code du travail : les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles définies comme positions forcées des articulations et les vibrations mécaniques bénéficient d’un suivi médical individuel spécifique.
En premier lieu, le suivi individuel spécifique envisagé se base sur un aménagement de la visite médicale de mi-carrière créée par la loi Santé au travail. Au cours de celle-ci, le professionnel de santé au travail appréciera l’état de santé du salarié concerné et identifiera, le cas échéant, ses altérations. Son diagnostic sera inscrit dans le dossier médical en santé au travail (DMST) du salarié.
En fonction de son diagnostic, le professionnel de santé au travail pourra :
– proposer des mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail, ou des mesures d’aménagement du temps de travail dans les conditions prévues à L. 4624-3 du Code du travail ;
– orienter le salarié vers la cellule pluridisciplinaire de prévention de la désinsertion professionnelle prévue à l’article L. 4622-8-1 du Code du travail ;
– orienter le salarié vers l’essai encadré ou la convention de rééducation professionnelle prévus aux 1 et 2° de l’article L. 323-3-1 du Code de la sécurité sociale ;
– réévaluer les modalités du suivi individuel de l’état de santé du salarié concerné.
En second lieu, une visite médicale de fin de carrière est rendue obligatoire à 61 ans pour permettre un départ anticipé à ceux qui ne peuvent plus travailler.
Ce dispositif n’est pas complètement inédit puisque les salariés dont le départ à la retraite intervient depuis le 1er octobre 2021 et qui ont été exposés au cours de leur carrière à des risques particuliers bénéficient d’une visite médicale avant de partir à la retraite. Celle-ci est réalisée par un médecin du travail et s’adresse aux salariés exposés à certains risques pour leur santé ou leur sécurité : amiante, rayonnements ionisants, plomb, agents cancérogènes, certains produits chimiques, travail en hauteur. Le but de cette visite est d’organiser un meilleur suivi médical post professionnel.
Entre le soixantième et le soixante et unième anniversaires du salarié exposé aux facteurs de risques dits « ergonomiques », une visite médicale devra donc être organisée. La finalité de cette visite médicale est de permettre au professionnel de santé au travail, si l’état de santé du salarié exposé le justifie, de l’informer de la possibilité de bénéficier de la pension pour inaptitude prévue par l’article L. 351-7 du Code de la sécurité sociale et de transmettre le cas échéant un avis favorable au médecin-conseil. Selon l’étude d’impact, cette mesure « permettrait à 5200 personnes de plus par an de bénéficier de la retraite pour inaptitude ».
Ces différentes mesures éloignent encore un peu plus le traitement juridique de la pénibilité d’une logique de prévention pour la cantonner dans des mécanismes de réparation. De plus, comme le remarque à juste titre Serge Volkoff, « en médicalisant le débat, on s’éloigne de la définition légale de la pénibilité qui mentionne des risques professionnels "susceptibles de laisser des traces durables, identifiables et irréversibles sur sa santé", et non des incapacités déjà avérées ».
En l’état du projet de loi, le dispositif est-il ainsi en mesure de relever les défis à venir ? Si le rythme des futurs débats en séance au Sénat devrait être moins chaotique que celui de l’Assemblée nationale, on peut légitimement craindre que le temps manque pour une réflexion approfondie, pourtant indispensable.
Laurène Joly
Le nouveau périmètre de la rente accident du travail/maladie professionnelle en cas de faute inexcusable de l'employeur. Note sous Cass. soc, 20janvier 2023 n°20-23.673 B+R et n°23.947 B+R
Par deux décisions rendues le 20 janvier 2023 (n°20-23.673 et n°21-23.947), l’assemblée plénière de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en matière d’indemnisation d’une maladie professionnelle en cas de faute inexcusable de l’employeur.
Dans les deux espèces, un salarié était décédé des suites d’un cancer des poumons contracté à l’occasion de l’exercice du travail, du fait de l’inhalation de poussières. Leurs ayants droit avaient alors saisi la juridiction de sécurité sociale pour faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur.
Dans la première espèce, le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Manche avait fait droit à la demande dans un jugement rendu le 8 novembre 2017 : il avait décidé la majoration de la rente de conjoint survivant à hauteur du maximum légal et fixé l’indemnisation des préjudices subis par la victime au titre des souffrances physique et morale, et par les proches pour leurs préjudices moraux. Suite à l’appel interjeté par l’employeur, la Cour d’appel de Caen, par décision du 29 octobre 2020, avait confirmé ce jugement, mais seulement partiellement car elle avait refusé d’indemniser les ayants droit pour les souffrances physiques et morales subies par la victime.
Ces derniers avaient alors formé un pourvoi en cassation et demandé le renvoi de deux questions prioritaires de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel, ce que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation leur avait refusé par arrêt du 8 janvier 2021. Cette même chambre avait toutefois ordonné le renvoi devant l’assemblée plénière par une décision du 23 juin 2022. Le pourvoi des ayants droit reprochait aux juges d’appel d’avoir violé articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2 et L. 452-3 du Code de la sécurité sociale en rejetant leur demande d’indemnisation des souffrances physiques et morales endurées par la victime.
L’assemblée plénière rend son arrêt au visa des articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 452-3 du Code de la sécurité sociale. Dans le chapeau, elle rappelle d’une part les modalités de calcul de la rente versée à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle atteinte d’une incapacité permanente égale ou supérieure à 10%, d’autre part le droit de la victime de demander à l’employeur, devant le juge de la sécurité sociale, la réparation du préjudice causé par ses souffrances physiques et morales, des préjudices esthétiques et d’agrément, et du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle, indépendamment de la majoration de la rente. Puis l’assemblée plénière casse et annule l’arrêt d’appel, mais uniquement en ce qu’il avait rejeté la demande d’indemnisation au titre des souffrances physiques et morales endurées par la victime. Elle ordonne enfin le renvoi de la cause devant la Cour d’appel de Rennes.
Dans sa décision, l’assemblée plénière relève le caractère difficilement conciliable des différents principes retenus par la jurisprudence depuis 2009. En vertu de ceux-ci en effet, d’une part la rente accident du travail indemnise à la fois les pertes de gains professionnels, l’incidence de l’incapacité et le déficit fonctionnel permanent et, d’autre part l’indemnisation complémentaire des souffrances physiques et morales est subordonnée à la preuve de leur non-indemnisation au titre du déficit fonctionnel permanent avec le caractère forfaitaire de la rente.
L’assemblée plénière se réfère également à la jurisprudence du Conseil d’État, constante depuis 2015, qui considère que la rente a pour objet exclusif de réparer forfaitairement les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle du fait de l’accident, c’est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité : il en résulte que le recours exercé par une caisse ne peut s’exercer que sur ces deux postes de préjudice, non sur un poste de préjudice personnel.
En conclusion et opérant un revirement de jurisprudence, l’assemblée plénière affirme que le déficit fonctionnel permanent n’est pas indemnisé par la rente accident du travail. Par conséquent, en refusant aux ayants droit l’indemnisation du préjudice subi du fait des souffrances physiques et morales endurées par la victime au motif que, en tant que retraitée, elle n’avait subi ni perte de gains professionnels, ni incidence professionnelle de son incapacité, les juges du fond ont violé les articles L. 434-1, L.434-2 et L. 452-3 du Code de la sécurité sociale.
Dans la seconde espèce, les ayants droit de la victime décédée avaient intenté une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur et ils réclamaient l’indemnisation des souffrances physiques et morales subies sur le fondement de l’article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale. Statuant sur renvoi après cassation par la deuxième Chambre civile, la Cour d’appel de Nancy avait indemnisé les préjudices moral et physique dans son arrêt du 7 septembre 2021. Cette décision donnait lieu à un second pourvoi pour violation de la loi, pourvoi formé par l’Agent judiciaire de l’État. Il reprochait à la Cour d’appel d’avoir accordé l’indemnisation des préjudices personnels sur le fondement de l’article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale alors que, conformément à l’interprétation du Conseil d’État, la réparation était subordonnée à l’absence de prise en charge de ces préjudices par les articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 452.2 du Code de la sécurité sociale. Après avoir rappelé l’objet de la rente versée à une victime d’accident du travail ou de maladie professionnelle, il reprochait aux juges du fond d’avoir indemnisé les souffrances physiques et morales subies par la victime décédée sans avoir tenu compte de l’indemnisation issue de la rente, et sans avoir démontré le caractère distinct de celles réparées au titre du déficit fonctionnel permanent.
L’assemblée plénière rejette le pourvoi.
Dans ces deux arrêts du même jour, l’assemblée plénière accorde sa jurisprudence avec celle du Conseil d’Etat : elle modifie le périmètre de la rente accident du travail-maladie professionnelle et le réduit à la compensation des seules conséquences professionnelles de l’incapacité, ce qui ouvre aux victimes qui la perçoivent la possibilité d’obtenir l’indemnisation du déficit fonctionnel permanent en cas de faute inexcusable de l’employeur.
I-La particularité des règles d’indemnisation des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles : une indemnisation forfaitaire pouvant être complétée et majorée en cas de faute inexcusable de l’employeur
La particularité du régime d’indemnisation des risques professionnels trouve sa source dans la réforme opérée par la loi du 9 avril 1898 qui, pour pallier les inconvénients des règles de la responsabilité civile et améliorer l’indemnisation des victimes d’accidents du travail, avait instauré une présomption d’imputabilité de l’accident et donné à l’indemnisation un caractère automatique et forfaitaire. La faute n’était pas pour autant totalement évincée du droit de l’indemnisation des risques professionnels. Les fautes inexcusable et a fortiori intentionnelle pouvaient justifier une majoration ou une minoration du montant de l’indemnisation selon qu’elle était commise par l’employeur ou le salarié. Ces mêmes principes étaient repris par la loi du 25 octobre 1919 pour l’indemnisation des maladies professionnelles, alors reconnues. Depuis la loi du 30 octobre 1946, ce sont les organismes de sécurité sociale qui prennent en charge la réparation de ces risques et versent les prestations en nature et en espèces à la victime.
En fonction de son taux d’incapacité, déterminé « d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité », la victime bénéficie d’un capital ou d’une rente. Lorsque ce taux est égal ou supérieur à 10%, « la victime a droit à une rente égale au salaire annuel multiplié par le taux d'incapacité qui peut être réduit ou augmenté en fonction de la gravité de celle-ci».
Conformément aux principes posés depuis la loi du 9 avril 1898, la faute inexcusable de l’employeur ouvre droit à une majoration de l’indemnisation de la victime. Celle-ci peut, d’une part, demander la majoration de la rente qui lui est allouée pour son incapacité permanente (article L. 452-2 du CSS) et, d’autre part, agir en responsabilité contre son employeur devant la juridiction de sécurité sociale sur le fondement de l’article L. 452-3 du Code de sécurité sociale pour obtenir une indemnisation complémentaire.
Or même si, en vertu de l’article L. 452-2 du Code de sécurité sociale, la majoration de la rente oscille entre un minimum et un maximum, la Cour de cassation retient depuis un arrêt du 19 décembre 2002 le principe de sa majoration au taux maximum en cas de faute inexcusable de l’employeur ou du substitué dans la direction, cette majoration ne pouvant être réduite qu’en présence d’une faute inexcusable concourante de la victime.
L’action en réparation complémentaire permise par l’article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale vise la réparation des préjudices causés par les souffrances physiques et morales endurées par la victime, de ses préjudices esthétiques et d’agrément, ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.
Les tiers payeurs disposent d’un recours : celui-ci portait depuis la loi du 30 octobre 1946 sur l’ensemble des indemnités versées à la victime, jusqu’à ce que la loi du 27 décembre 1973 le limite en « excluant la part d’indemnité à caractère personnel correspondant aux souffrances physiques et morales et aux préjudices esthétiques et d’agrément », disposition reprise par la loi du 5 juillet 1985. Néanmoins, ces dispositions ne sont pas applicables aux accidents du travail.
La loi de financement de la sécurité sociale du 21 décembre 2006 a pour sa part mis en place un système d’imputation poste par poste qui repose sur un fractionnement du dommage corporel, et elle a opéré une distinction des différents chefs ou postes de préjudice définis selon la nature et le type d’intérêt lésé. Cependant, là encore, aucune référence n’est faite aux accidents du travail et notamment à la rente.
En 2005, un groupe de travail a été constitué au sein de la Cour de cassation, présidé par M. Dentilhac, lequel donnera son nom à la nomenclature des préjudices qu’il était chargé d’élaborer. Cette nomenclature a distingué les préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux, les préjudices temporaires et les préjudices permanents après consolidation, mais elle n’a pas défini pas de règles de concordance entre les préjudices indemnisés et les prestations versées, donc n’a rien dit des postes sur lesquels les caisses peuvent exercer leur recours. Bien que n’ayant aucune valeur réglementaire, la nomenclature Dentilhac s’est imposée comme une norme de référence aussi bien pour le juge judiciaire que pour le juge administratif.
Le préjudice fonctionnel permanent, préjudice de nature extra-patrimoniale, découle « d’une incapacité constatée médicalement qui établit que le dommage subi a une incidence sur les fonctions du corps humain de la victime. Il concerne exclusivement la sphère personnelle de la victime et vise la réparation des « atteintes aux fonctions physiologiques de la victime (telle que la réduction du potentiel physique, psychosensorielle ou intellectuelle), qui demeurent même après laconsolidation». En droit commun de l’indemnisation, il couvre l’ensemble des souffrances physiques et psychiques ainsi que les troubles qui y sont associés.
En revanche, le déficit fonctionnel permanent n’inclut pas certains préjudices reconnus par la jurisprudence depuis la réserve d’interprétation émise par le Conseil constitutionnel le 18 juin 2010. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, il avait alors énoncé que l’article L. 452-3 du Code de sécurité sociale qui fixe la liste des préjudices indemnisables n’était pas limitatif et qu’il « ne saurait, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d’actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent demander à l’employeur réparation de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du Code de la sécurité sociale ». Cette liste devait en conséquence être considérée comme indicative et permettre la réparation de préjudices qu’elle ne visait pas expressément s’ils n’étaient pas spécifiquement indemnisés par les prestations de sécurité sociale.
Aussi, la Cour de cassation a-t-elle adapté sa jurisprudence et accepté l’indemnisation de nouveaux préjudices en faveur des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles en cas de faute inexcusable de l’employeur ou du substitué dans la direction. Elle a admis que leur faute inexcusable devait permettre d’indemniser le préjudice sexuel, celui lié à l’aménagement d’un véhicule, le déficit fonctionnel temporaire ou encore le préjudice d’anxiété pour les victimes de l’amiante, car elle estimait qu’ils échappaient aux prestations AT-MP. Mais malgré les invocations de la doctrine et contrairement au Conseil d’État, la deuxième chambre civile avait toujours refusé d’admettre que le déficit fonctionnel permanent n’était pas réparé par la rente. Pour cette raison, la décision de l’Assemblée plénière qui modifie le périmètre de l’indemnisation de la rente constitue un revirement important et attendu.
II-La redéfinition du périmètre de la rente accident du travail-maladie professionnelle en cas de faute inexcusable de l’employeur
La détermination des préjudices indemnisés par la rente AT-MP a fait l’objet de nombreuses controverses tant jurisprudentielles que doctrinales. À la suite de la réforme opérée par la loi du 21 décembre 2006, l’article L. 376-1 du Code de sécurité sociale instaurait une règle a priori simple s’agissant des recours des tiers payeurs, en disposant que « les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s’exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’elles ont pris en charge, à l’exclusion des préjudices à caractère personnel ». Néanmoins, aucune référence n’était faite aux accidents du travail, donc à la question de la rente.
Dès le 29 octobre 2007, la Cour de cassation, saisie pour avis, affirmait que la rente indemnisait notamment les pertes de gains professionnels et les incidences professionnelles de l’incapacité, et elle conditionnait le recours des caisses en présence d’un préjudice personnel à la preuve de l’indemnisation de la victime à ce titre. Mais très vite, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation faisait du principe posé par l’article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale une présomption simple permettant d’établir par la preuve contraire que tout ou partie de la rente avait indemnisé la victime pour le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent.
La chambre criminelle allait même aller encore plus loin en considérant qu’à partir du moment où la rente était d’un montant qui dépassait celui des préjudices professionnels, elle réparait « nécessairement l’atteinte objective à l’intégrité physique de la victime que représente le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent ». La deuxième chambre civile lui emboîtait le pas en décidant, dans plusieurs arrêts rendus le 11 juin 2009, que la rente avait non seulement pour objet d’indemniser les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité, mais encore le déficit fonctionnel permanent. Elle en déduisait qu’en l’absence des premières, la rente indemnisait « nécessairement le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent ». Ces arrêts avaient été confirmés par la suite.
Cette jurisprudence avait ainsi donné naissance à une présomption : le déficit fonctionnel permanent était présumé indemnisé quand le montant de la rente excédait celui des préjudices professionnels. Elle reconnaissait aussi que certains éléments du préjudice personnel étaient intégrés dans l’objet de la rente. La cour a ensuite dû préciser ce que recouvrait le déficit fonctionnel permanent et imposé aux juges du fond de rechercher si les souffrances physiques ou morales invoquées n’avaient pas déjà été réparées, ou si elles étaient à l’inverse distinctes de celles réparées par la rente.
A fortiori, lorsqu’aucun préjudice professionnel n’avait été subi, la rente versée qui conservait bien un objet ne pouvait qu’indemniser un préjudice autre que celui-ci. C’est ce raisonnement qui avait conduit la Cour d’appel de Caen —dont l’arrêt donnait ici lieu à pourvoi devant l’assemblée plénière— à considérer que la rente indemnisait le déficit fonctionnel permanent puisque la victime, en l’occurrence retraitée, n’avait subi ni perte de gains professionnels, ni incidence professionnelle de son incapacité.
Une telle interprétation conduit à traiter les victimes de manière inégalitaire : en effet, les salariés victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelles dont les préjudices professionnels sont limités ou inexistants verraient l’indemnisation de leurs souffrances physiques et morales plafonnée du fait de l’exercice du recours des tiers payeurs. Elle n’est au demeurant pas partagée par le Conseil d’État qui, dans un avis rendu le 8 mars 2013, a estimé que le recours exercé par la caisse au titre d’une rente d’accident du travail ne peut s’exercer que sur les postes de préjudice professionnels, non sur un poste de préjudice personnel.
En considérant que la rente ne réparait pas le déficit fonctionnel permanent, l’assemblée plénière rejoint le Conseil d’État dans cet arrêt de revirement. Ce faisant, elle redonne sens aux dispositions de l’article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale destinées à améliorer l’indemnisation des victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle. Désormais, puisque la rente qui leur est versée n’indemnise pas le déficit fonctionnel permanent, elles peuvent obtenir la réparation distincte des préjudices non professionnels, extra-patrimoniaux, que sont les atteintes dans la vie quotidienne résultant de la réduction définitive du potentiel physique.
Monique Ribeyrol
Licenciement d'un steward portant des tresses africaines et exigence de non-discriminiation
Dans un arrêt daté du 23 novembre 2022, la Cour de cassation est amenée à se prononcer sur le licenciement d’un salarié de la compagnie aérienne Air France, auquel avait été reproché le port d’une coiffure incompatible avec le manuel du port de l’uniforme, établi par l’employeur à destination de son personnel navigant.
Un steward de la compagnie s’était un jour présenté à l’embarquement coiffé de tresses africaines nouées en chignon. Ce salarié s’était alors vu interdire l’accès à l’avion, au motif que sa coiffure contrevenait au manuel des règles de port de l’uniforme. En effet, ce manuel prévoit pour les hommes que « les cheveux doivent être coiffés de façon extrêmement nette. Limitées en volume, les coiffures doivent garder un aspect naturel et homogène. La longueur est limitée dans la nuque au niveau du bord supérieur de la chemise » ; cependant que ce même manuel prévoit pour les femmes que « les tresses africaines sont autorisées à condition d’être retenues en chignon ». Pour répondre aux exigences posées par son employeur, le steward avait ensuite porté pendant deux ans une perruque couvrant ses tresses africaines, avant d’exhiber à nouveau la coiffure objet du litige. Après avoir été sanctionné par son employeur, le salarié avait développé un syndrome dépressif reconnu comme maladie professionnelle, lequel avait entrainé son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
S’estimant victime de discrimination, le salarié avait saisi la juridiction prud’homale afin notamment de réclamer des dommages-intérêts et d’obtenir l’annulation de son licenciement. Sa demande ayant été rejetée en première instance et en appel, il avait formé un pourvoi en cassation. La haute juridiction rend sur ce pourvoi une décision parée de toutes les marques de solennité et de publicité : rendu en formation plénière de la chambre sociale, publié au bulletin d’information mais aussi au rapport annuel, l’arrêt est en outre accompagné d’un communiqué, largement relayé dans la presse nationale.
La décision a pourtant de quoi décevoir. Certes, si elle reconnaît dans l’interdiction faite aux seuls hommes de porter des tresses africaines l’existence d’une discrimination en raison du sexe (I) ; et si elle ne trouve dans les arguments de l’employeur et de la cour d’appel aucune justification à la différence de traitement ainsi faite entre les hommes et les femmes (II), elle laisse totalement dans l’ombre la question spécifique de l’apparence physique des salariés (III). Ainsi, ce litige qui aurait pu donner l’occasion à la Cour de cassation de renforcer sa jurisprudence relative à la libre apparence des travailleurs se résout finalement comme une banale affaire de discrimination sexiste.
I/ La mise en évidence d’une discrimination sexiste
A suivre le texte de l’arrêt et le communiqué qui l’accompagne, l’espèce soumise à la Cour de cassation ne serait, du point de vue du droit, qu’une affaire de discrimination sexiste. Ainsi, dans son communiqué, la haute juridiction formule la question qui lui est posée de la manière suivante : « le fait pour un employeur de restreindre la liberté de ses salariés de sexe masculin dans leur façon de se coiffer constitue-t-il une discrimination fondée sur le sexe ? » A cette question, elle répond (toujours dans son communiqué) : « La différence de traitement qui consiste à autoriser les femmes à porter des tresses africaines attachées en chignon mais à l’interdire aux hommes est uniquement fondée sur le sexe ».
Ce résumé proposé par le communiqué est, du reste, conforme au visa de l’arrêt : celui-ci mentionne les dispositions du code du travail relatives à l’exigence de non-discrimination (articles L. 1132-1 et L. 1133-1) en les présentant seulement comme « mettant en œuvre en droit interne les articles 2, §1, et 14, §2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail ». Le droit français de la non-discrimination n’est donc visé qu’en tant qu’il prohibe les discriminations sexistes.
La Cour précise ensuite, dans son raisonnement, que la coiffure du salarié « n’était pas conforme référentiel relatif au personnel navigant commercial masculin, ce dont il résultait que l’interdiction faite à l’intéressé de porter une coiffure, pourtant autorisée par le même référentiel pour le personnel féminin, caractérisait une discrimination directement fondée sur l’apparence physique en lien avec le sexe ». Comme le suggère cet énoncé, l’interdiction du port de tresses africaines n’est discriminatoire, selon la Cour, que parce qu’elle concerne seulement le personnel navigant commercial masculin, alors que cette même coiffure est autorisée pour le personnel féminin.
L’existence d’une discrimination directe fondée sur le sexe étant caractérisée dans le cas d’espèce, il convient encore de rechercher si l’interdiction faite aux hommes de porter des tresses africaines répond à une « exigence professionnelle essentielle et déterminante », poursuit un objectif légitime et est proportionnée, comme le prévoit l’article L. 1133-1 du code du travail.
II/ L’absence de justification de la différence de traitement
Pour définir la catégorie juridique « d’exigence professionnelle essentielle et déterminante », la haute juridiction française se réfère à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, et plus précisément à son arrêt Micropole du 14 mars 2017. De cet arrêt rendu à propos d’une discrimination directe fondée sur la religion, la Cour de cassation retient qu’une exigence professionnelle essentielle et déterminante « renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause ». Or, à suivre la haute juridiction, l’interdiction faite au personnel navigant masculin de porter des tresses africaines ne répond pas à une exigence ainsi définie. Cette conclusion ne peut qu’être approuvée. En effet, on ne voit pas en quoi l’accomplissement des fonctions afférentes à la profession de steward exigerait objectivement l’interdiction du port de tresses africaines ; on ne voit pas bien l’exécution de quelles tâches afférentes à ces fonctions le port de telles tresses rendrait impossible. Cette coiffure est du reste si peu incompatible avec le travail du personnel navigant commercial, que la société Air France l’autorise pour le personnel féminin.
La cour d’appel s’était quant à elle fondée sur la « perception sociale de l’apparence physique des genres masculin et féminin » pour écarter la qualification de discrimination directe. Or, de telles « considérations subjectives », dépourvues de fondement objectif tenant à la nature ou aux conditions d’exercice de l’activité professionnelle, ne sauraient constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante justifiant une différence de traitement relative à la coiffure entre les femmes et les hommes. C’est pourquoi la Cour de cassation censure le raisonnement de la cour d’appel.
Cette dernière avait en outre estimé que l’interdiction des tresses africaines par le personnel navigant commercial de sexe masculin tenait à l’existence d’un uniforme imposé par l’employeur. Selon la cour d’appel, le port de cet uniforme faisait partie de l’image de marque de la compagnie aérienne et permettait de rendre le personnel de cette dernière immédiatement reconnaissable. La Cour de cassation juge ce motif inopérant pour fonder l’interdiction litigieuse. En effet, comme le souligne la Cour de cassation dans son communiqué relatif à l’arrêt, « c’est l’uniforme qui permet aux clients d’identifier le personnel navigant. Contrairement à un chapeau, dont le port peut être imposé et qui contribue à cette identification, la manière de se coiffer n’est ni une partie de l’uniforme ni son prolongement ». L’argument de la cour d’appel convainc d’ailleurs d’autant moins que le port de tresses africaines est autorisé pour le personnel féminin ; tout laisse donc à penser que cette coiffure n’est en rien incompatible avec l’image de marque de l’employeur et la nécessité d’identification immédiate du personnel.
On notera toutefois que la Cour de cassation ne reproche pas à la cour d’appel d’avoir considéré que les exigences tenant à l’apparence des salariés, par exemple l’obligation pour ces derniers de porter un uniforme, pouvaient être motivées par l’image de marque de l’employeur et la nécessité d’identification immédiate du personnel. Il n’est donc pas exclu que de telles finalités soient constitutives d’un objectif légitime, susceptible des justifier l’existence d’une exigence professionnelle essentielle et déterminante tenant à l’apparence des salariés.
Or c’est justement sur le terrain de la protection de l’apparence physique des salariés que l’arrêt déçoit.
III/ L’occultation de la question spécifique de l’apparence physique
Rappelons que l’apparence physique des salariés fait l’objet d’une double protection dans le droit français du travail : comme objet d’une liberté, la liberté de se vêtir à sa guise, protégée au titre de l’article L. 1121-1 du code du travail, d’une part ; et comme critère discriminatoire et prohibé en tant que tel, listé à l’article L. 1132-1 du même code, d’autre part. Pourtant, dans l’arrêt commenté, l’apparence physique n’apparaît jamais à l’un ou à l’autre de ces deux titres. La Cour de cassation mentionne bien, au détour de son raisonnement, l’existence en l’espèce d’une « discrimination directement fondée sur l’apparence physique en lien avec le sexe ». Néanmoins, dans tout le reste de son raisonnement, l’apparence physique ne semble constituer que l’objet ou la matière d’une discrimination présentée par la Cour comme reposant exclusivement sur le critère du sexe.
De ce point de vue, l’arrêt commenté constitue une régression par rapport à la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation. En effet, dans un très célèbre arrêt rendu il y a un peu plus de dix ans, la haute juridiction avait estimé que l’interdiction faite à un serveur de restaurant de porter des boucles d’oreilles, en tant que salarié de sexe masculin, était constitutive à la fois d’une discrimination sexiste et d’une discrimination en raison de l’apparence. Son licenciement pouvait ainsi être déclaré nul, sur le fondement du droit de la non-discrimination, quand bien même la liberté de se vêtir à sa guise ne serait pas constitutive d’une liberté fondamentale, comme l’avait souligné la Cour de cassation quelques années plus tôt.
L’arrêt présentement commenté aurait pu être l’occasion pour la Cour de poursuivre dans la voie d’une protection renforcée de l’apparence des salariés. L’argumentaire produit par le steward aux tresses africaines l’invitait d’ailleurs à procéder ainsi. En effet, pour contester les atteintes portées à sa « libre apparence », le demandeur au pourvoi plaçait les cinq premières branches de son unique moyen sur le terrain de l’article L. 1121-1 du code du travail ; quant aux branches dédiées à la question de la discrimination, celles-ci ne se bornaient pas à souligner l’existence d’une discrimination sexiste. Dans son avis rendu à propos de cette affaire, l’avocate générale invitait d’ailleurs la Cour de cassation à reconnaître non seulement l’existence d’une discrimination sexiste mais aussi l’existence d’une discrimination en raison de l’apparence physique. Dans son avis complémentaire, elle encourageait en outre la haute juridiction à « reconnaître, non pas la liberté de se vêtir, mais la liberté de paraître ou la liberté pour le salarié du choix de son apparence (ou la liberté d’apparence) comme entrant dans [la] catégorie [des libertés fondamentales] », de telle sorte que le licenciement attentatoire à cette liberté soit déclaré nul.
La chambre sociale de la Cour de cassation ne suit pourtant pas l’avis de son avocate générale et refuse de statuer sur les cinq premières branches du moyen. L’affaire des tresses africaines devient ainsi une banale affaire de discrimination sexiste. Si la haute juridiction se penche sur la question de l’apparence des salariés, c’est seulement pour veiller à ce que les contraintes pesant sur l’apparence des salariés d’un sexe déterminé ne soient pas différentes de celles pesant sur l’apparence des salariés l’autre sexe. Les hommes doivent ainsi être autorisés à porter les mêmes tenues que les femmes, et vice versa. Un employeur ne saurait donc, sans commettre de discrimination sexiste, interdire à un salarié de sexe masculin de venir au travail en jupe, talons hauts, cheveux longs, mascara et rouge à lèvres… à moins qu’il étende cette interdiction aux salariées de sexe féminin.
Laurent Willocx